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progressive de qualité dans l’objet fabriqué, l’encombrement du marché intérieur, la fréquence des entreprises hasardeuses et l’établissement d’ateliers nouveaux qui empirent encore ce triste état de choses.

Pour suivre la contrefaçon dans ses mille canaux, il faudrait passer en revue toutes les presses qu’elle met en mouvement. Ce détail nous entraînerait trop loin. En France, le nombre des imprimeurs est limité par des règlemens. En Belgique, il n’en est pas de même : est imprimeur qui veut. Le premier venu qui parvient à se procurer une presse et paie la patente commune à toute profession peut éditer tout ce qu’il lui plaît, un livre ou un journal à son choix. Nous nous dispenserons donc de citer tous les ateliers de la contrefaçon belge. Au reste, ces nombreux ateliers font plus de tort à la librairie constituée de Bruxelles, dont ils éparpillent le bénéfice total, qu’à l’industrie française, qui les alimente de ses publications. Chaque année voit naître un établissement nouveau, qui vient tenter une spéculation imprévue, dans laquelle les associations typographiques sont forcées de se jeter à sa suite et elles ne s’en retirent qu’après y avoir compromis quelques-uns de ces avantages qui rendent leur propre concurrence si cruelle pour les éditeurs parisiens. La librairie des provinces ne compte pas pour la contrefaçon. À Malines, à Louvain, à Tournay, les presses de quelque importance ne reproduisent que de loin en loin un petit nombre de livres approuvés par l’autorité ecclésiastique. Il en résulte que le champ de la contrefaçon y est extrêmement limité. La même observation s’applique aux publications de la Société nationale pour la propagation des bons livres, qui ne contrefait guère que des ouvrages d’éducation et des dictionnaires. Tout le commerce de la contrefaçon belge est donc réuni en réalité entre les mains des libraires de Bruxelles. Nous avons vu comment elle est organisée ; examinons à présent son mode d’action.

Son marché peut se diviser en deux parts : le débouché de la Belgique et celui du dehors. Ce dernier, les trois sociétés d’imprimerie se le partagent presque à l’exclusion des maisons d’un ordre inférieur ; l’autre, elles se le disputent pied a pied, au milieu d’une nuée d’éditeurs de rencontre qui se jettent à travers leur lutte pour arracher quelques lambeaux de la dépouille commune.

Nous porterons d’abord nos regards sur le marché intérieur. Est-il nécessaire de répéter qu’il est livré au pillage ? Industrie basée sur le principe meurtrier de la concurrence absolue, la contrefaçon, abandonnée à tous les maux funestes que ce privilége entraîne après lui, a su trouver, pour l’édification des économistes modernes, le beau idéal de la bataille, disons mieux, de la déroute industrielle. Dès qu’un ouvrage nouveau est sorti de l’une des presses de Paris, pour peu qu’il ait de chances de succès, pièce de théâtre, roman, recueil de poésies ou de mémoires, pamphlet ou livre d’histoire, annoncé dans tous les journaux depuis l’instant où l’on en a connu le titre, il est reçu le lendemain même à Bruxelles, saisi, mis en pièces par trois ou