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LA CONTREFAÇON BELGE.

Nous savons bien que les Belges ne veulent point reconnaître cette influence intellectuelle, et qu’ils s’efforcent de s’y soustraire ; mais elle est réelle, elle use leur caractère propre et le dénationalise, elle a étouffé l’originalité de leur littérature dans son germe, elle lui impose ce joug de mutation dont elle s’indigne sans le pouvoir briser, elle a fait enfin que tous les ouvrages publiés en Belgique, dans l’espace de treize ans, n’ont été, à de rares exceptions près, que le lointain reflet de modèles français. Matériellement, la contrefaçon ne cause aucun tort à cette littérature sans couleur et sans but ; elle lui offre au contraire des occasions de publicité qui lui manqueraient d’ailleurs car les éditeurs de Bruxelles, quoique peu disposés, on le croira sans peine, à payer le droit d’imprimer des livres originaux, prêtent du moins aux écrivains belges le secours de leurs relations étendues, si bien qu’il arrive souvent qu’un ouvrage qui n’a pu trouver dix lecteurs dans la ville où il a vu le jour va charmer les loisirs du public peu exigeant de Rio ou de Philadelphie en compagnie des plus estimables écrivains de la France. Ce n’est donc point à la publication des livres nationaux, mais à l’expansion des facultés littéraires des Belges, que la contrefaçon est nuisible. Comme elle les fait vivre dans le bruit de la littérature parisienne, elle ne permet pas qu’ils sentent assez la nécessité de chercher leurs inspirations en eux-mêmes, de combiner, par exemple, une alliance des idées françaises et des idées germaniques, dont il semble que leur génie particulier devrait être le lien.

Aussi la Belgique, n’envisageât-elle que son intérêt moral de nation, devrait être la première à souhaiter de voir la contrefaçon s’éloigner de son territoire, tandis que la France détruirait un de ses moyens les plus actifs de propagande intellectuelle et politique, si, en arrêtant un mal incontestable, elle laissait se perdre le bien que, pour son intérêt de nation, il a indirectement produit. Ce n’est pas que nous cherchions à faire ici, tant s’en faut, l’éloge implicite de tous ces ouvrages où ni le goût, ni l’art, ni la morale ne sont respectés, et qui doivent à la contrefaçon de retentir encore en Europe après que l’opinion en a fait justice en France. Nous voulons dire seulement que, grande ou médiocre, honnête ou immorale, la publication de l’instant est également intéressante pour les deux pays, et que, par le fait de la contrefaçon, la Belgique est le prolongement intellectuel de la France, la tête de pont de sa littérature en Europe.

Parmi les Belges, il n’y a que le parti catholique qui ait la conscience des atteintes que le commerce des idées françaises porte au caractère national du peuple, et qui se soit prononcé par des actes contre la contrefaçon, leur agent le plus bruyant et le plus actif. C’est dans cet esprit qu’il fonde des associations pour la propagation des bons livres ; le danger des mauvaises lectures est le texte ordinaire des prédicateurs du carême : le clergé exige des libraires qui veulent se marier à l’autel la promesse écrite qu’ils n’imprimeront plus de romans ; au mois de juillet de cette année, le corps entier de l’épiscopat a signé une instruction pastorale qui paraît avoir été provo-