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une indifférence déplorable à cet égard. Il est absolument nécessaire, dès l’instant qu’il aura obtenu la suppression de la contrefaçon, qu’il vienne en aide à la librairie, qu’il lui facilite la transition, que dans sa sollicitude prochaine, nous l’espérons du moins, pour l’intérêt moral et national dont elle est la dépositaire, il la protège, il la dirige, il la tienne, s’il le faut même, en tutelle. Nous ne pouvons indiquer d’avance tous les encouragemens dont les circonstances commanderont de faire usage. On pourrait d’abord exciter par des primes sagement distribuées l’exportation de tous les ouvrages utiles, de ceux qui honorent la littérature d’un grand peuple et tendent à lui conserver le rang suprême qu’il occupe dans l’opinion du monde Ce moyen de protection industrielle déjà en usage ailleurs, ne passerait après tout par la librairie que pour aller récompenser les travaux de la saine et honnête littérature. Il en est encore un qui exercerait une influence directe sur le prix des livres français à l’étranger, particulièrement de ceux qu’il serait utile de lui faire parvenir avec moins de lenteur que par les voies ordinaires. Nous voulons parler de la diminution de la taxe énorme qui frappe les imprimés envoyés par la poste. Jusqu’à présent en effet, il semble que le gouvernement n’ait eu en vue, dans toutes les conventions postales qu’il a conclues, que l’intérêt matériel de la presse quotidienne, de celle précisément qui lui cause mille embarras à l’intérieur et ne va guère représenter aux yeux de l’Europe que les petites passions de la politique française, et, chose étrange, il a excepté de cette faveur, dans sa dernière convention postale avec l’Angleterre, les revues, la presse périodique, celle où l’opinion est déjà plus sérieuse, plus calme, plus élaborée : par une contradiction difficile à expliquer, il l’assimile aux journaux quotidiens pour le timbre, et lui impose pour la poste toutes les charges qui grèvent le transport des volumes. Pourtant ce sont les livres et les recueils consacrés aux sciences, aux arts, à la critique, toutes les publications dont c’est l’ambition de parvenir, à force de travail, à mériter le nom de livres, qui résument vraiment la France morale et pensante vis-à-vis du reste du monde. Les livres auraient bien le droit d’arriver en même temps que les journaux jusqu’aux peuples qui leur font l’honneur de les rechercher, quand ce ne serait que pour rectifier les jugemens hâtifs, les idées fausses que ceux-ci leur imposent et la pauvre opinion qu’ils leur doivent donner du style, du goût, du caractère et du travail intellectuel d’une nation plus grande et plus considérée peut-être à l’époque où la presse quotidienne n’avait pas tout envahi.

Un dernier mot et nous aurons examiné chacune des conséquences de la grande mesure qui fait l’objet de ce travail. Il est possible que, même encouragée par le gouvernement, la librairie française ne s’élève pas jusqu’à la hauteur de sa mission d’industrie chargée des intérêts de l’intelligence. La résurrection de la contrefaçon en serait le signe le plus assuré. Que faire alors ? Abandonner les choses à elles-mêmes et désespérer du remède ? Assurément non. Il faudrait bien dès ce moment déposséder la librairie française