On devine, rien qu’à ce court passage, dans quelle atmosphère de grace et de politesse furent élevés les deux Chénier. La danse, dans ce climat favorisé d’Athènes, avait toujours été la compagne de la poésie. Aussi, quand Mme de Chénier peint avec son pittoresque langage, tantôt la mollesse des danses voluptueuses, tantôt l’énergique et sauvage caractère des danses patriotiques, je me figure volontiers que ces rondes enlacent leurs anneaux, et que des chants connus s’y mêlent et y répondent. Ici, c’est un soldat qui lève fièrement la tête et entonne avec force quelque hymne républicain de Marie-Joseph ; là, c’est une fille grecque, penchée amoureusement, qui murmure une idylle d’André. Oui, un rayon du ciel de la Grèce devait tomber sur le front de ces frères privilégiés. À celui-ci l’héritage de Théocrite, son art consommé, la douceur savante de son style ; à celui-là un écho de Tyrtée, quelques vigoureux accens du scolie vengeur d’Harmodius.
Mais c’est André surtout qui devait être un fils de la Grèce ; sa mère, sans doute, lui en parlait souvent comme d’une patrie, et peut-être les pages qu’elle avait écrites éveillèrent-elles, dans la vive imagination de l’enfant, ce culte des lettres athéniennes auxquelles ses vers furent un perpétuel hommage. Il voua son intelligence à la Grèce ; il garda son cœur à la France. Marie-Joseph ne ressentit pas au même degré l’influence de ces mœurs élégantes, de cet intérieur orné et un peu oriental, qui semblent avoir agi si vivement sur son frère. L’aîné élevait dans son ame un autel à l’art, le plus jeune l’élevait à la gloire : heureusement, Marie-Joseph, après l’épreuve, finira par où André avait commencé. Cependant il fallait prendre un état, se décider pour une carrière : les deux frères choisirent celle qui laissait le plus de loisir, et qui, dans cette seconde moitié du XVIIIe siècle, semblait le plus compatible avec les lettres. Tandis qu’André partait avec son régiment pour Strasbourg, Marie-Joseph allait habiter Niort comme sous-lieutenant de dragons. La vie de caserne ne devait guère enchanter un Parisien de dix-sept ans, passionné pour la poésie, et qui, au lieu des amis célèbres de sa mère, au lieu de ses protecteurs familiers, les David, les Le Brun, les Lavoisier, ne rencontrait plus que des beaux esprits de province et des désœuvrés de garnison. Il se résigna pourtant et chercha une distraction dans le travail. Ses études avaient été mauvaises ; il les refit tant bien que mal par des lectures. On voit comment ce caractère emporté était rebelle à la discipline : il étudiait parce qu’il n’avait plus de maîtres ; mais, au bout de deux ans, sa patience fut à bout : il quitta le service et revint près