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POÈTES MODERNES DE LA FRANCE.

assailli le firent se raidir, et il s’y fortifia. Lui-même, aux momens de bonne humeur, convenait que la contradiction avait ses profits, et qu’il y avait toujours quelque parti à tirer des avis adverses, s’agit-il même de la diatribe d’un sot :

Certain troupeau d’oisons sauva le Capitole.

Rien ne ressemble moins au médiocre style des tragédies que le style ferme et décidé des satires. L’empreinte est marquée et nette : ce n’est plus la monnaie courante et effacée d’hier. La plaisanterie s’y montre franche, dégagée, de bon aloi ; le poète ne pointille pas sur l’idée comme Rivarol, il n’enjolive pas de petites ironies comme Gresset ; c’est la raison droite de Boileau, c’est l’impitoyable bon sens de Voltaire. Le trait s’échappe du style comme d’un ressort, et touche aussitôt le but. À vrai dire, ce n’est point la couleur qui abonde dans Chénier : son image est courte et avare ; sa métaphore trop souvent semble commune ou manque d’abondance. Comme le sens, en revanche, se trouve solidement enchâssé dans le rhythme ! Quelle façon agréable et claire de dire les choses ! Ce qu’il y a même d’un peu sec dans ce procédé au burin n’est pas sans charmes. Je conviens volontiers que le champ de cette poésie est étroit, très étroit, si l’on veut ; mais avec quelle facile agilité le cavalier accomplit ses évolutions dans ce cirque borné ! Comme sa lance se joue avec grace avant de frapper, et comme, d’un coup de bride il sait rattraper ceux qui fuient ses coups ! Certes, la place de Chénier est marquée, au-dessus de Gilbert, à côté de l’auteur du Pauvre Diable.

La satire d’André, c’est l’iambe vengeur, c’est le cri involontaire de l’indignation, c’est le besoin de vider son carquois avant de mourir. Dans ces Iambes sauvages, ne cherchez point l’auteur, l’homme seul parle. André, il faut bien le dire, n’estimait guère l’art des médisances élégantes et des poétiques diatribes. N’est-ce pas lui qui dit dans une épître :

Moi, j’ai fui la satire à leurs regards si chère ;

n’est-ce pas lui qui toujours évite qu’un nom propre

Égaie au bout du vers une rime perfide ?

Marie-Joseph n’a pas tous ces scrupules. Cependant il n’imite point Le Brun ; ce n’est point par passe-temps et comme distraction de ses loisirs qu’il enchâsse de bonnes épigrammes dans de bons vers. Poursuivi, traqué en tout sens, Chénier finit par se faire de la poésie une