Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/357

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
353
REPRISE DE BÉRÉNICE.

Mystères de Paris (je les range parmi les drames à machines), c’est bien le moins qu’on essaie d’Ariane et de Bérénice.

Au milieu de l’ensemble si magnifique et si harmonieux de l’œuvre de Racine, Bérénice a droit de compter pour beaucoup. Certes, nous n’irons pas l’élever au nombre de ses chefs-d’œuvre : on sait l’ordre et la suite où viennent se ranger ceux-ci. Un homme de talent, qui a particulièrement étudié Racine, et qui s’y connaît à fond en matière dramatique, classait ainsi, l’autre jour, devant moi, les tragédies du grand poète : Athalie, Iphigénie, Andromaque, Phèdre et Britannicus. Je crois même qu’à titre de pièce achevée et accomplie, de tragédie parfaite offrant le groupe dans toute sa beauté, il mettait Iphigénie au-dessus des autres, et la qualifiait le chef-d’œuvre de l’art sur notre théâtre. Mais, quoi qu’il en soit, la hauteur d’Athalie compense et emporte tout. Bérénice ne saurait se citer auprès de ces cinq productions hors de pair ; elle ne soutiendrait même pas le parallèle avec les autres pièces relativement secondaires, telles que Mithridate et Bajazet, et pourtant elle a sa grace bien particulière, son cachet racinien. Je distinguerai dans les ouvrages de tout grand auteur ceux qu’il a faits selon son goût propre et son faible, et ceux dans lesquels le travail et l’effort l’ont porté à un idéal supérieur. Bérénice, bien que commandée par Madame, me semble tout-à-fait dans le goût secret et selon la pente naturelle de Racine ; c’est du Racine pur, un peu faible si l’on veut, du Racine qui s’abandonne, qui oublie Boileau, qui pense surtout à la Champmeslé, et compose une musique pour cette douce voix. On raconte que Boileau, apprenant que Racine s’était engagé à traiter ce sujet sur la demande de la duchesse d’Orléans, s’écria : « Si je m’y étais trouvé, je l’aurais bien empêché de donner sa parole. » Mais on assure aussi que Racine aimait mieux cette pièce que ses autres tragédies, qu’il avait pour elle cette prédilection que Corneille portait à son Attila. Je n’admets qu’à demi la similitude, mais je crois volontiers à la prédilection. Cela devait être. Bérénice, chez lui, c’est la veine secrète, la veine du milieu.

On a quelquefois regretté que Racine n’eût pas fait d’élégies ; mais qu’est-ce donc dans ses pièces que ces rôles délicats, parfois un peu pâles comme Aricie, bien souvent passionnés et enchanteurs, Atalide, Monime, et surtout Bérénice ?

Bérénice peut être dite une charmante et mélodieuse faiblesse dans l’œuvre de Racine, comme la Champmeslé le fut dans sa vie.

Il ne faudrait pas que de telles faiblesses, si gracieuses qu’elles semblent par exception, revinssent trop souvent ; elles affecteraient l’œuvre