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y a fait usage, pour empêcher les prisonniers de troubler la maison par leurs cris, d’un affreux et homicide instrument connu sous le nom de bâillon de fer (iron gag), et dont voici la description telle qu’un membre de la législature pensylvanienne, M. M’elwee, l’a donnée[1] :

« Le bâillon de fer est un instrument de fer brut, ressemblant au mors d’une fausse bride, portant vers le milieu une plaque de fer d’un pouce carré et garni aux deux bouts de chaînes que l’on attache derrière le cou. On plaçait cet instrument dans la bouche du prisonnier, la plaque de fer pressant sa langue, le mors entrant aussi avant que possible, et les chaînes étant ramenées le long des joues jusque derrière la tête. On faisait passer le bout d’une chaîne dans l’anneau qui terminait l’autre chaîne, on le serrait fortement jusqu’au quatrième anneau, et l’on assujettissait le tout avec un cadenas. Les mains du prisonnier étaient ensuite introduites dans des gants de cuir garnis de gâches en fer, et croisées derrière le dos. On passait des courroies de cuir dans les gâches et autour du bâillon, puis on les serrait étroitement en relevant les mains vers la tête. La pression, agissant ainsi sur les chaînes et par les chaînes sur les joues ainsi que sur les veines jugulaires, causait d’horribles tortures et pouvait amener un épanchement du sang dans le cerveau. Un détenu nommé Macumsey a perdu la vie au milieu de cet infernal supplice ; plusieurs autres y ont enduré des tourmens qui excèdent les forces de l’homme ; il devrait être aboli à jamais. Les annales de l’inquisition espagnole ne présentent pas de torture plus épouvantable. »

La peine du bâillon a été abolie en effet dans la Pensylvanie ; on a cédé aux justes réclamations de l’opinion publique, soulevée par la fin tragique de Macumsey. Cependant ce qui s’est passé à Philadelphie peut se renouveler ailleurs. Dans tout autre système d’emprisonnement, la cellule solitaire est le moyen le plus puissant de châtier les infractions à la discipline. Mais dès que vous faites de la solitude le régime habituel du détenu, que vous reste-t-il pour réprimer la résistance qu’il est quelquefois tenté d’opposer à la règle de la prison, si ce ne sont ces traitemens barbares que prodiguait le moyen-âge, et dont rougit notre civilisation ? Les chaînes et les châtimens corporels nous paraissent les auxiliaires obligés du système pensylvanien. La logique de ce régime avait conduit ceux qui l’administrent à la détestable invention du bâillon de fer ; l’humanité de notre époque a brisé cette arme dans leurs mains. Quoi que l’on fasse pourtant, à moins d’énerver l’emprisonnement solitaire, il faudra bien accorder aux gardiens de la prison un pouvoir discrétionnaire qui aille, dans certains cas, jusqu’à placer à

  1. Fourteenth report of the Boston prison discipline society.