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L’ÎLE DE BOURBON.

français en particulier une certaine dose de vanité qui se fait jour partout, à tout propos.

L’île est divisée en deux arrondissemens : la partie du vent et la partie sous le vent. Celle-ci, moins arrosée, moins sillonnée de ruisseaux et de torrens, moins rafraîchie par les brises et par les pluies, a des aspects plus variés, plus étranges ; les dattiers de Saint-Paul, les sables de l’Étang salé, appartiennent à l’Afrique. Celle-là, coupée de plus de ravins, égayée de plus de cours d’eau, parce que les nuées arrêtées au passage par les pitons arrosent ses versans, est plus riante aussi, mieux plantée de forêts, plus variée dans ses cultures. Les cocotiers et les palmistes y viennent plus beaux ; le jacquier d’Asie y donne en abondance ses énormes fruits, plus goûtés des créoles que des étrangers. De ce côté, les montagnes, moins abruptes, inclinées, pour ainsi dire, par l’effort constant des vents alisés, s’allongent en pente adoucie, avec de longues collines où l’œil erre sur un bel amphithéâtre de plantations. On sent par là le frais paysage de Paul et Virginie. Deux routes lient ensemble ces deux parties distinctes de l’île : l’une, nommée route de ligne, praticable seulement pour les piétons, tourne les montagnes à peu près à mi-côte ; l’autre, dite route royale, entretenue à grands frais et sur laquelle peuvent rouler les voitures en maints endroits, fait le tour de l’île et traverse tous les cantons, en suivant presque partout le bord de la mer. C’est celle qu’on doit prendre pour voir la colonie sous ses divers aspects.

Une diligence entretient un service régulier entre Saint-Denis et Saint-Benoît, quand le permet le débordement des ruisseaux, et en particulier les capricieuses inondations de la rivière des Pluies, car il a été impossible de construire des ponts sur ce cours d’eau, dont les rives sont trop basses. Tant que les nuées ne font que crever paisiblement sur l’île, les torrens ne se gonflent pas d’une manière démesurée ; mais, quand le tonnerre gronde vers la cime des montagnes, il y tombe de si prodigieux déluges de pluie, que l’on voit, selon l’expression locale, descendre la rivière, et l’on juge de la force des torrens par les blocs de pierre qu’ils roulent dans leur chute. Des masses d’une écume jaunâtre, suspendues à de grandes hauteurs, se précipitent avec fracas dans la plaine, se répandent à droite et à gauche à mesure que le lit du ruisseau est moins encaissé, et alors c’est à qui se hâtera de franchir sur les gros cailloux déjà à moitié submergés, ces rivières grossissantes, que les voyageurs attardés sont réduits bientôt à passer sur les épaules des noirs, au risque d’être entraînés dans la mer. Les derniers venus n’auront rien de mieux à faire que de