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seront les terres, qui déjà ont perdu de leur fertilité par suite de la destruction partielle des forêts ? On ne pense pas assez combien de gouttes de pluie chaque arbre soutire par ses branches levées en l’air, combien de petits filets d’eau il couve sous ses racines. Dans un pays à mousson, les terres déboisées ne peuvent arrêter l’évaporation ; il résulte de là que les bienfaits de ces arrosemens périodiques ne se font pas sentir pendant toute la durée de la saison sèche ; ce n’est pas tout que de recevoir les richesses du ciel, il faut savoir les ménager. Toutefois la nuée versait une telle masse de pluie au moment où je m’enfonçais dans les gorges, qu’il était permis de croire que le sol resterait éternellement trempé. Des charrettes pleines de cannes que l’on portait au moulin, embourbées jusqu’à l’essieu, ne pouvaient, malgré l’effort des mules et le jurement des nègres, avancer d’un pas ; un torrent furieux venait interrompre la route : je le traversai sur le dos d’un colossal Yolof, moyennant quelques sous, mais non sans une certaine crainte qu’il ne me jetât dans l’eau par inadvertance ou par malice. Le chemin, plus resserré, adossé à la montagne, n’était plus lui-même qu’un ruisseau, assez limpide du reste, dans lequel il fallait se résigner à faire des lieues. Aux flancs du morne du Bras-Panon, d’une saillie sur laquelle se penchaient de gracieux palmistes, une cascade de hauteur démesurée se lançait avec bruit ; partout, le long de la route, d’autres chutes en fer à cheval, en entonnoir, impétueuses ou lentes, vomissaient à l’envi sur nos têtes le trop plein des nuages ; à tout prendre, c’était, sous un pareil climat, un beau spectacle ; la blancheur des eaux contrastait avec la couleur sombre des montagnes, et, jusque sur les pitons par instans découverts, on voyait ruisseler quelque chose de pareil à des gouttes de sueur au front d’un géant. Ces mille cascades chantaient en chœur ; les unes, se précipitant d’une faible hauteur dans la rivière même, rendaient un son caverneux et grave, auquel d’autres plus hardies répondaient avec un bruit presque métallique en bondissant d’une pointe élevée sur des roches nues. Par instans aussi, les nuages chassés par le vent de la mer dépassaient le Gros-Morne ; le soleil dardait ses rayons au fond du défilé ; peu à peu le murmure des eaux allait en diminuant, les cascades affaiblies cessaient de couler ; les gouttes de pluie restaient suspendues aux feuilles des arbres étincelantes comme des millions de perles ; tout semblait sourire dans cette nature calmée, rafraîchie, renouvelée ; une lumière éblouissante éclairait à ravir ce paysage sévère dans ses lignes, gracieux dans ses détails. À peine, parmi les fruits rouges du framboisier sauvage, quelque rare volatile