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L’ÎLE DE BOURBON.

L’animal se débat ; mais, plutôt que de lâcher la patte qu’il a saisie, le chasseur se laisse traîner à travers les broussailles, glisser sur le ventre aux flancs du précipice, et, à force de persévérance, il ramène triomphant au milieu des habitations sa proie vaincue par une lutte prolongée. Les déchirures, les contusions, les blessures, sont des choses dont on parle à peine, si ce n’est pour s’en glorifier.

Dans leurs expéditions aventureuses, les chasseurs rencontrent parfois des nègres marrons qui leur servent de guides ; le temps est passé sans doute où des bandes de noirs cantonnés dans les hauteurs de Saint-Benoît et de Saint-André faisaient la nuit des descentes dans les habitations pour enlever les femmes, piller et inquiéter le maître, enfin pour se procurer des vivres. L’île, mieux explorée, plus peuplée, n’a guère d’asiles inconnus où l’esclave fugitif puisse vivre en paix, dans une liberté achetée au prix des plus rudes privations, souvent même à des hauteurs où souffle éternellement une brise glaciale. Le noir marron est repris de nos jours au bout de quelques semaines par les batteurs d’estrade, ou livré par ses propres compagnons ; on ne voit plus guère de ces camps, tantôt habités, tantôt déserts, dont les abords, soigneusement cachés, recélaient un piége terrible ; de petites pointes de bois durcies au feu, sur lesquelles se blessaient cruellement les pieds nus des créoles en patrouille. Un des derniers exemples de marronnage organisé est celui-ci : sur un escarpement de la partie du vent, des esclaves déserteurs avaient trouvé une caverne dans laquelle ils imaginèrent de descendre au moyen d’une forte liane qui pendait à l’entrée ; après maintes incursions dans les campagnes, l’un d’eux, jeune garçon de quinze ans, quitta la bande et dénonça les fugitifs. Se mettant lui-même à la tête d’une patrouille, il arriva au-dessus du ravin, et secoua la liane ; à ce signal connu s’avancèrent tous les fronts d’ébène ; les esclaves trahis furent ramenés au travail et châtiés selon le caprice du maître.

Ceux qui dirigent les chasseurs sont les survivans de ces bandes détruites ; leur nombre est extrêmement limité. Abandonnés de guerre lasse par la justice, fort inoffensifs d’ailleurs, les marrons vivent de fruits sauvages, des petits oiseaux qu’ils tuent sans bruit avec une espèce d’arbalète, et s’en vont quelquefois cueillir, le soir, dans des lieux plus exposés, les bananes qui mûrissent dans les jardins envahis de leurs devanciers. Ce qu’ils demandent au chasseur pour récompense de leurs services, ce sont, non des pièces d’or ou d’argent, qu’en feraient-ils ? mais un couteau, une marmite, une couverture. L’un d’eux est déserteur depuis vingt-cinq ans ; il y a pour lui prescription ;