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L’ÎLE DE BOURBON.

la brûlante chaleur crispait leurs feuilles et tordait leurs branches. Les arbres, précipités dans la plaine, jusque sur la plage, disparurent absorbés sous ces masses en fusion que la mer arrêta au milieu de leur course, et changea en roches solides avec un fracas épouvantable. De bien loin à la ronde, on arrivait pour contempler cette lutte acharnée de deux élémens ; les navires étaient éclairés dans leur marche par ces lueurs empourprées qui faisaient pâlir les étoiles, et les navigateurs carguaient leurs voiles afin de jouir du magnifique spectacle qui frappait leurs yeux d’une façon inattendue. Il ne fallut peut-être qu’une nuit pour changer en désert tout un pays boisé ; autour du cratère, qui se repose pendant l’hivernage et lance sa fumée pendant la saison sèche, on distingue les lignes violettes et noires tracées par les flots de lave. Sur des hauteurs abritées par un ravin, par une fissure, paraissent encore de grands takamakas blancs et morts comme ceux du Vieux-Brûlé, dans les troncs desquels niche, dit-on, le paille-en-queue, ce bel oiseau des tropiques au plumage argenté. Le fait me semble douteux ; cependant j’ai vu beaucoup de ces hôtes de la plage voler au-dessus de ma tête en se dirigeant vers ces arbres dépouillés où les oiseaux de terre n’oseraient plus se poser.

Le piton de Fournaise est l’un des moins hauts de l’île : on lui donne 2,200 toises d’élévation, c’est-à-dire un peu plus des deux tiers du piton des Neiges, le seul où l’on trouve de la glace en toute saison ; ce dernier est un volcan éteint comme la plupart de ces autres cimes chenues si souvent voilées par les nuages de la mousson. Saint-Denis et Saint-Paul ont aussi leurs pays brûlés, et plusieurs personnes pensent que, les cratères s’étant successivement refermés en commençant par le nord-est de l’île, la Fournaise, située à la pointe sud-est, ne tardera pas à s’éteindre à son tour ; mais peut-on assigner aux plus inexplicables phénomènes de la nature une marche, une direction absolues ? L’espace envahi par la dernière coulée a environ deux lieues d’étendue du Rempart à la pointe de Tremblet. En s’arrêtant à cette pointe, la lave a bouleversé le sol. Bondissant par-dessus des roches, elle les a déplacées ou recouvertes de façon à laisser du côté de la mer des grottes profondes envahies à moitié par des arbres et des lianes, tant la végétation est vigoureuse et prompte à reprendre le dessus dans les régions tropicales. Sur ce point, le chemin n’est plus praticable. Arrivé sur un roc abrupte d’où je ne pouvais plus faire descendre ma monture, assailli par un grain furieux, je n’eus plus d’autre ressource que de laisser sur son piédestal la mule revêche et de chercher un abri dans les grottes. La pluie augmentant, l’eau ruisselait et formait des