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L’ISTHME DE PANAMA.

fleuve San-Juan de Nicaragua a 3 mètres et demi d’eau, et, sur un point, elle offre, suivant M. Robinson, une passe étroite de 7 mètres et demi de profondeur[1].

Le grand obstacle à une communication océanique par le pays de Nicaragua ne paraît donc point résider dans le fleuve San-Juan ; il n’est pas non plus dans le lac, quoiqu’il y ait quelquefois des coups de vent d’une grande violence ; mais quelle serait la difficulté qu’opposerait la muraille à renverser ou à percer entre le lac de Nicaragua ou le lac de Leon et l’Océan Pacifique ?

Aucune contrée n’est hérissée d’autant de volcans que cette partie de l’Amérique, du 11e degré de latitude au 13e ; mais dans les environs du lac de Nicaragua, les montagnes par le cratère desquelles le feu souterrain se fraie un passage sont en petits groupes isolés et quelquefois en cimes solitaires. Ce n’est plus une chaîne continue. Elles s’élancent de la plaine, laissant entre elles des vallées, ou tout au moins des passages. L’étroite langue de terre qui sépare le lac

  1. Les traditions, qui partout sont sujettes à présenter les choses et les hommes comme allant en dégénérant, assurent qu’avant 1685 le fleuve était d’une navigation bien meilleure. On dit que jusqu’alors les trois-mâts le remontaient et venaient jeter l’ancre contre des flots où l’on voit les ruines d’un fort près duquel on mouillait, et où l’on trouve encore une profondeur de 9 à 10 mètres. Mais à cette époque le régime du fleuve subit une grande altération. Il s’ouvrit vers la mer une voie nouvelle par où s’échappe, sous le nom de Rio Colorado, une portion considérable de ses eaux. À proprement parler, c’est maintenant la principale branche. D’après un jaugeage de M. Bailey, rapporté par M. Stephens, le Colorado roule, en temps de basses eaux, 360 mètres cubes d’eau par seconde ; c’est trois fois le débit de la Seine à Paris pendant l’étiage. Quand les eaux sont hautes, le Colorado écoule par seconde 1,095 mètres cubes. Ce fut la guerre, cause de tant de dérangemens dans le monde, qui occasionna cette révolution dans le Rio San-Juan de Nicaragua. La mer des Antilles et les parages voisins étaient alors infestés de boucaniers, hommes résolus auxquels leur courage inoui eût mérité l’admiration de la postérité, si rien pouvait faire admirer la dévastation et le pillage. Ces audacieux bandits menaçaient de leurs incursions tous les établissemens espagnols voisins de la mer. Afin de les empêcher d’entrer dans le San-Juan de Nicaragua, on coula à l’entrée du fleuve des carcasses de navires, des radeaux, tout ce qu’on put trouver. Les arbres de dérive vinrent grossir cet obstacle ; bientôt il arrêta l’écoulement des eaux, et le fleuve fut forcé de se frayer un passage dans une autre direction. Depuis lors, les gros bâtimens cessèrent de remonter le fleuve. On m’a assuré qu’il existait des documens établissant qu’auparavant se tenait à Grenade une foire annuelle où paraissaient de quatorze à dix-huit navires venus d’Europe, en faisant échelle à Carthagène et à Porto-Belo. Il faudrait probablement rétablir l’ancien lit en barrant l’ouverture par laquelle s’épanche le Rio Colorado et en nettoyant le vieux chenal.