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DU MOUVEMEMENT CATHOLIQUE.

et tolérantes, et la saine modération ; mais par cela même, les écrivains que nous venons de citer restent en dehors de tout ce fracas, de toutes ces colères, sachant bien que, pour éclairer le pays, il ne faut pas le calomnier, qu’on ne fait pas descendre par l’insulte les vérités morales ou religieuses dans les ames rebelles, et que l’esprit qui doute, comme le pauvre qui souffre, a besoin de charité. Les hommes sages d’ailleurs dans le catholicisme ne se révoltent pas aveuglément contre ces conquêtes des temps modernes qui ont coûté la ligue, la réforme, les dragonnades, et qui ont reçu la solennelle consécration de la révolution française ; ils ne cherchent pas à faire reculer violemment la société pour l’immobiliser dans la tradition, mais ils marchent avec elle : et n’est-ce pas en effet le véritable triomphe de la civilisation que de constituer, dans la sphère des faits humains, une société progressive, sous un dogme immuable ?

Au milieu de cette lutte ardente, une certaine portion du clergé est descendue imprudemment dans la lice d’où se retiraient les hommes sérieux. Le clergé a-t-il des forces plus imposantes à présenter pour la bataille ? À l’extrême avant-garde marchent les jésuites ; mais les jésuites ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes : les juger d’après leur passé, c’est les faire plus grands qu’ils ne sont. Ils n’ont aujourd’hui d’importance que par les souvenirs historiques et la proscription, qu’on pourrait lever sans danger, car elle n’est qu’un inutile anachronisme. Le temps n’est plus où ils tenaient dignement leur rang dans les lettres et dans les sciences, où ils allaient mourir pour la foi sur les terres lointaines et conquérir le Paraguay. Les intrigans ultramontains ont remplacé les martyrs, et les rois dépossédés du Nouveau-Monde sont réduits à faire des miracles. À une époque où tout s’accomplit par la publicité, ils se cachent dans l’ombre. Pour régner sur l’état par la conscience des rois, il leur faudrait la monarchie absolue ; pour régner sur les croyances sincères ou sur les sciences, il leur faudrait autre chose que l’Invariable ou les prodiges de Fribourg. Les institutions du pays, d’ailleurs, sont assez fortes pour n’avoir rien à craindre des constitutions de Loyola. Aujourd’hui le clergé s’appuie sur eux, les justifie et les défend. Quand on veut faire la guerre et qu’on entre en campagne, c’est une nécessité de recruter partout des auxiliaires ; mais en réalité le clergé n’aime pas les jésuites, parce qu’il les craint et qu’ils sont en dehors de son action. Il les évoque comme des morts d’un autre âge, auxquels il ne demande que le prestige de leur passé. S’ils redevenaient puissans, on le verrait aussitôt se tourner contre eux. C’est ce qui arrive en Italie, et surtout à Rome et à Turin, les deux grands centres du jésuitisme italien.

Auprès des jésuites, que trouvons-nous dans l’église parmi ceux qui combattent ? Quelques évêques respectables sans doute par leurs vertus personnelles, mais égarés par des entraînemens irréfléchis ; vieux par les années, jeunes encore par l’ardeur, ils veulent pour l’église l’organisation de l’ancienne monarchie : ils s’épuisent à lutter contre un fantôme, contre l’ombre du XVIIIe