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vaillent la société civile ? « Qu’elle est belle, disait Bossuet, cette église gallicane pleine de science et de vertu ; mais qu’elle est belle dans son tout, qui est l’église catholique ! » Aujourd’hui, pour une notable portion du clergé, le gallicanisme est presque une impiété, et, dans l’épiscopat même, c’est faire acte de courage que de le défendre, comme l’ont fait récemment MM. Affre et d’Astros. Qu’on y prenne garde cependant, car, en voyant ainsi les gallicans et les ultramontains en présence, le pays a droit de se montrer défiant, de demander de quel côté est la majorité, et quels sont parmi ses prêtres ceux qui acceptent une patrie. Mais cette scission n’est pas la seule : dans les luttes que ces derniers temps ont soulevées, on a vu des évêques, qui prenaient le protectorat des violences, s’insurger contre leurs métropolitains, parce qu’ils prêchaient la modération ; les uns blâment, tandis que les autres approuvent ; les plus sages sont impuissans à contenir les aventureux, et personne n’a la franchise ou le courage de désavouer ceux qui se compromettent. Dans l’épiscopat, il y a souvent désunion : le clergé inférieur, à son tour, a formulé contre l’épiscopat des plaintes amères, en l’accusant de gouverner suivant les lois du bon plaisir, de tyranniser les prêtres à charge d’ames. Les desservans, de leur côté, ne s’accordent pas toujours avec les curés de canton, et l’église a aussi sa démocratie qui murmure. Pour porter remède à cet état de choses, pour limiter l’autorité épiscopale, on a demandé le rétablissement des officialités, des synodes diocésains, la création d’un jury ecclésiastique dans chaque diocèse, les élections des évêques par les assemblées générales des fidèles. Nous n’avons pas à examiner ici jusqu’à quel point ces reproches peuvent être fondés ; nous voulons constater seulement que les embarras qui travaillent la société civile ont aussi pénétré dans l’église, et certes ce n’est pas le concordat, comme on veut le faire croire, qui en est la seule cause ; nous voulons constater que, dans son gouvernement comme dans le gouvernement de l’état, l’autorité n’est point acceptée sans conteste, et qu’elle est, comme le monde, inquiète et agitée en ce qui touche son organisation temporelle, ses intérêts positifs. Les uns demandent pour elle une dotation fixe, les autres la suppression de tout traitement ; on veut ici qu’elle accepte la protection de l’état, là qu’elle le rejette et se sépare. A-t-on bien songé aux conséquences qu’une telle séparation entraînerait pour l’église ? Ces conséquences sont faciles à prévoir. Dans les populations où deux cultes dissidens sont en présence, on ne tarderait pas à voir se ranimer, je ne dirai pas une lutte, mais une concurrence déplorable, qui aboutirait inévitablement aux plus graves désordres ; en réduisant les prêtres à vivre d’aumônes, on les condamnerait à la simonie, on les ferait descendre au niveau des moines mendians du moyen-âge ; les cultes seraient mis au rabais, et l’église livrée à la merci de tous les partis. : une moitié de la France peut-être resterait sans prêtres, tandis que l’autre serait abandonnée à toutes les influences d’un prosélytisme qui sans aucun doute ne serait pas exclusivement religieux, et l’on aurait de la sorte une France ca-