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les affaires d’Orient, et la paix subit en 1840 la plus redoutable épreuve qu’elle ait traversée depuis plus de vingt-cinq ans. Au sortir de cette crise, l’intérêt manifeste de la France, autant que le soin de sa propre dignité, lui commandait une politique réservée, indépendante, une politique en rapport avec la situation nouvelle que les évènemens lui avaient faite. Cette indépendance était d’autant mieux indiquée, que, selon la judicieuse observation de M. Thiers, les points qui pouvaient réunir la France et l’Angleterre avaient, dans les principales questions européennes, fait place aux intérêts destinés désormais à les diviser. L’instinct public avait recommandé cette attitude d’isolement et d’attente ; cette attitude avait reçu l’assentiment non équivoque de la chambre, elle avait été hautement acceptée par le gouvernement lui-même. La convention des détroits et le traité du 20 décembre 1841 furent une double dérogation à cette pensée universellement accueillie par l’opinion publique, et cette dérogation même a créé pour le cabinet les embarras contre lesquels il se débat. De ce vaste ensemble de faits et d’idées M. Thiers a conclu qu’il fallait revenir à la pensée de 1841 et donner pour base à la politique pacifique, que tout le monde aspire à maintenir, non plus une alliance impossible, mais la modération même des vœux de la France, et l’entière liberté de son action extérieure.

Une telle déclaration dans la bouche de l’ancien président du 1er mars est un véritable évènement. C’est un programme et un engagement pour l’avenir. Jusqu’à-ce jour, M. Thiers n’avait donné ni l’un ni l’autre, et hors du cercle d’intimité où sa véritable pensée avait pu se produire dans sa liberté, elle restait incertaine et obscure pour le pays. Une déclaration aussi générale que celle qu’il vient de faire ne suffit pas sans doute pour fixer le sens d’un grand nombre de questions, et ne saurait servir de base à la composition immédiate d’un cabinet ; mais c’est un système qui se révèle, et dans ce sens on doit louer l’acte de M. Thiers comme un éclatant hommage aux véritables principes du gouvernement constitutionnel. Il n’est pas d’homme sérieux, à quelque opinion qu’il appartienne, qui ne doive s’en féliciter hautement.

Le résultat instantané de cette déclaration a été d’amener la chambre et le cabinet à définir d’une manière plus nette et plus précise le sens et la portée des négociations qu’on paraît avoir acceptées à Londres pour la révision des traités de 1831 et de 1833. Ce que la chambre veut, c’est replacer le plus promptement possible la marine française sous la protection exclusive du pavillon national. C’est à cette condition qu’elle subordonne la cordiale entente et la reprise de ses relations amicales avec l’Angleterre ; ce qu’elle réclame, ce n’est point une modification aux formes de la visite en mer, mais la suppression solennelle de ce droit exorbitant. Telle est la pensée à laquelle le ministère, par l’organe de M. Guizot, s’est vu conduit à donner un entier assentiment. Toute négociation ouverte à Londres sur une autre base que celle-là serait contraire à l’intention formellement manifestée par le parlement français avec l’assentiment des membres du gouvernement, et