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l’autre par Panama avait été remarquée. À l’origine de la conquête, ce fut une route fréquentée. C’est par là que passa François Pizarre, quand il revint d’Europe plein d’espoir, avec les encouragemens du grand Cortez[1], à la tête d’une petite armée destinée à conquérir le Pérou, dont il avait vu les côtes en un premier voyage. Bien plus, si l’on s’en rapporte à la tradition, cet homme entreprenant fit construire une route pavée au travers de l’isthme, entre Cruces et Panama. Aujourd’hui et depuis longues années, cette route est défoncée, méconnaissable. Dans nos pays de l’Europe tempérée, c’est de l’herbe qui s’efforce de croître entre les pavés des chemins ou entre les assises des monumens ; dans les climats voisins de l’équateur, ce sont des arbres qui y poussent, et ainsi, à moins que la main vigilante de l’homme ne soit là sans cesse, ses ouvrages périssent bientôt, et c’est avec effort qu’on en retrouve les traces. M. Léon Leconte assure cependant avoir très bien reconnu les vestiges de la route attribuée à Pizarre.

Panama resta jusqu’au milieu du XVIIIe siècle le rendez-vous des trésors de l’Amérique méridionale se dirigeant vers la métropole. À Panama, qui était bien fortifié sur le Pacifique, répondait, sur l’autre océan, Porto-Belo (ou Puerto-Belo), ainsi nommé par Christophe Colomb, qui le découvrit en 1502, parce que c’est un port excellent. Les galions d’Espagne venaient prendre à ce dernier port les espèces du Pérou et du Chili. Une mauvaise route unissait Porto-Belo à Panama, mais il ne paraît pas qu’il y ait jamais eu un service organisé de transport en diligence ou même en charrette.

L’abandon où l’isthme a été laissé pendant les deux derniers siècles pourrait donner lieu de croire, ainsi que quelques personnes l’ont écrit, que « l’Espagne, par une politique ombrageuse, voulait refuser aux autres peuples un chemin au travers de possessions dont elle a dérobé long-temps la connaissance au monde entier. » Mais c’était plus de l’incurie que du calcul. Si quelque nation entreprenante avait voulu se rendre maîtresse de l’isthme, elle l’eût pu dans l’état d’inculture et de dépeuplement où il restait sous la domina-

  1. François Pizarre débarqua a Nombre-de-Dios, port de l’Atlantique entre Chagres et Porto-Belo. Il avait rencontré en Espagne Fernand Cortez, entouré alors de la gloire que lui avait value la conquête du Mexique. Cortez, qui avait une grande ame et se plaisait à encourager la jeunesse dans d’audacieuses entreprises, fournit des fonds à François Pizarre. De Nombre-de-Dios, ce dernier se rendit à Panama, où l’attendait son ancien compagnon de fatigues et futur compagnon de succès, Almagro.