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et qu’elle lance avec ses propres forces sur le territoire convoité. « Aujourd’hui, chacun des gouvernemens indigènes qui subsistent encore, petit ou grand, libre ou asservi, a toujours au cœur de la capitale, à la porte du palais du prince, au milieu de sa vie intime, son germe de destruction, qui se révèle sous la forme d’un envoyé, d’un chargé d’affaires ou d’un résident, avec son collége ordinaire, une force subsidiaire ou simplement une escorte. Le plus souvent, ce résident exerce sur le prince soumis à sa tutelle une autorité d’abord soigneusement dissimulée, mais dont le voile devient de jour en jour plus transparent. C’est quelque chose entre l’ordre et le conseil, conseil s’il est accepté, ordre s’il y a résistance. » Ces résidens, il faut bien le dire, jouent, à la cour qu’ils surveillent, le rôle que les Anglais supposent si volontiers être celui des voyageurs qui demandent à visiter l’Inde, le rôle d’espion. Espionnés à leur tour par le gouvernement suprême, ils lui doivent un compte exact de toutes leurs démarches autant que de tous les évènemens sans exception dont ils sont témoins. Leur nombre est immense, si l’on songe que chez les Sicks, dans le Bundelcund et dans les états radjpoutes, on compte près de cent agens accrédités, tous rivalisant de zèle pour servir la cause qui leur est confiée, et cela pour deux raisons : la première, c’est que cette carrière diplomatique conduit aux premiers emplois ; la seconde, c’est que l’esprit patriotique et national a de fortes racines dans le cœur des Anglais. Ils le poussent jusqu’à l’égoïsme même, en subordonnant à l’intérêt de leur pays celui du monde entier.

Aujourd’hui, deux cent vingt royaumes, principautés et fiefs principaux, dépendans ou tributaires, subissent d’une façon plus ou moins directe le joug de la compagnie. Leur histoire est écrite tout entière dans ce peu de mots qui divisent en quatre catégories les princes indigènes : « 1o princes indépendans quant à l’administration intérieure de leurs états et non dans le sens politique ; 2o princes dont les états sont gouvernés par un ministre choisi par le gouvernement anglais et placé sous la protection immédiate du représentant ou agent qui réside à la cour du souverain nominal ; 3o princes dont les états sont gouvernés par le résident lui-même ou par des agens de son choix ; 4o princes dépossédés et pensionnés, conservant le titre d’altesses inviolables dans leurs personnes, et affranchis de la juridiction des cours, excepté en matières politiques. » — Certes, voilà pour l’orgueil anglais un beau spectacle : toute une légion d’altesses abdiquant entre les mains de la compagnie l’indépendance politique, la direction des affaires de l’intérieur, l’ombre d’une autorité quelconque, enfin ce