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qui animaient la grande ame de Vauban découle le Projet d’une dîme royale. Son bon sens et son équité naturelle, autant que ses habitudes d’observation, lui ayant fait découvrir les misères produites par le désordre des finances, il crut entrevoir la possibilité de remplacer le privilége en matière d’impôt par un système qui égalisât les charges publiques et soulageât les citoyens accablés, sans porter préjudice au trésor. Ce système a pour base, selon l’auteur dont nous conservons religieusement les paroles, « une obligation naturelle aux sujets de toute condition de contribuer à proportion de leur revenu et de leur industrie, sans qu’aucun d’eux s’en puisse raisonnablement dispenser. » En conséquence, il propose de remplacer la multitude des taxes arbitraires et vexatoires comprises sous les dénominations de tailles, de capitations, d’aides, de traites foraines et de dixièmes, par une contribution unique, en nature ou en argent, dont la quotité flotterait, selon les circonstances, du dixième du revenu au maximum, juqu’au vingtième en minimum. Cette contribution devait provenir de quatre sources différentes : 1o la dîme de tous les fruits de la terre, prélevée en nature, sans admettre d’exceptions en vertu de la qualité des personnes ou des priviléges locaux ; 2o dîme estimée en argent sur le produit des propriétés bâties, des industries, des rentes, des salaires, pensions, appointemens, profits d’office et autres revenus, depuis le prince et le prélat jusqu’à l’homme de peine[1] et au laquais ; 3o impôt modique sur le sel, égalisé dans sa quotité, et rendu uniforme dans sa perception pour toutes les provinces et toutes les classes de citoyens ; 4o revenus fixes comprenant les domaines, parties usuelles, droits féodaux, amendes, péages et autres impôts éventuels, auxquels les innovations paraissaient difficilement applicables.

Vauban n’émettait de telles idées que pour obéir à sa conscience. Il ne s’abusait pas sur les chances du succès ; lui-même énumère les obstacles qui feront échouer son système dans un chapitre supplémentaire, édité pour la première fois par M. Daire. Il prédit la colère des nobles, atteints dans leurs priviléges ; l’opposition des hauts fonctionnaires, menacés dans leur despotisme ; les intrigues des gens de finances ;

  1. L’ame de Vauban se peint dans ces lignes, écrites à l’occasion de la contribution à prélever sur les classes ouvrières : « Il faut bien prendre garde, dit-il, qu’il y a des artisans bien plus achalandés les uns que les autres, plus forts et plus adroits, et qui gagnent par conséquent davantage, et d’autres qui gagnent moins, et dont les qualités sont cependant égales. Ce sont toutes considérations dans lesquelles on doit entrer le plus avant qu’on pourra, avec beaucoup d’égards et de circonspection, et toujours avec un esprit de charité. »