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ÉCONOMISTES FINANCIERS DU XVIIIe SIÈCLE.

numéraire en papier, et cette substitution sera sans danger, pourvu que la quantité du papier émis ne dépasse pas les exigences de la situation commerciale. Non-seulement cette émission procurera d’énormes bénéfices au gouvernement qui s’en réservera le monopole, mais elle mettra en rapport toutes les forces productives du pays, parce qu’il deviendra possible d’avancer un capital d’exploitation à tous ceux qui auront une garantie quelconque à offrir. — Cette doctrine, on le voit, est une exagération erronée et dangereuse des principes sur lesquels repose la science du crédit, exagération excusable d’ailleurs chez celui qui le premier entrevoit, dans l’extase du génie, une idée nouvelle et féconde. Quant aux moyens d’application, Law savait mesurer son système aux circonstances politiques. En Écosse, par exemple, il proposait l’institution d’une banque territoriale qui aurait livré aux propriétaires du papier ayant cours obligatoire jusqu’à concurrence d’une certaine portion de la valeur de leurs terres. Repoussé par ses compatriotes, il fit vainement des offres de service au gouvernement anglais, à l’empereur d’Allemagne, au duc de Savoie, aux ministres de Louis XIV. Il trouva enfin accès auprès du régent, et ce prince qui, dit-on, s’était parfois enfermé avec un chimiste pour chercher la pierre philosophale, put croire un instant qu’il l’avait trouvée dans les axiomes du financier écossais.

Que risquait-on d’ailleurs à faire une tentative ? Le grand roi laissait à son successeur un royaume complètement ruiné. Le capital de la dette publique, divisé en rentes consolidées et en dettes flottantes représentées par du papier à terme, était de 2,356,000,000 liv., qui équivaudraient à plus de 4 milliards de notre monnaie. Quoique l’impôt figurât sur les états pour une somme de 166 millions, les revenus libres ne dépassaient pas ordinairement 68 millions ; pour l’année courante, cette faible ressource avait été absorbée à l’avance : à peine pouvait-on espérer un recouvrement de 4 à 5 millions pour les derniers mois de l’année Les revenus des exercices suivans étaient également amoindris. Or, la moyenne des dépenses publiques était alors d’environ 200 millions par année : il y avait à prévoir en outre les échéances des billets royaux, qu’on évaluait à 700 millions. Quant aux emprunts, il n’y fallait pas songer. Louis XIV, peu de temps avant sa mort, avait été obligé de jouer, auprès des traitans et des maltotiers, le rôle de courtisan pour obtenir une somme de 8 millions, qu’on daigna lui donner en échange de 32 millions d’effets royaux, c’est-à-dire à raison de 400 pour 100 ! Le seul dénouement qu’il fût