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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/606

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REVUE DES DEUX MONDES.

vastes jachères que divisaient des haies d’aubépine, de longues lignes de chênes, dont les troncs robustes s’élevaient sur d’étroites bandes de gazon semées de mille fleurs champêtres. Au bruit de notre voiture, le pinson effrayé gagnait une branche élevée, et là, rassuré par la distance, semblait nous saluer de son chant joyeux, tandis que la grosse alouette huppée nous laissait approcher d’aussi près qu’un moineau de Paris, puis s’élançait d’un coup d’aile sur quelque motte de terre, d’où elle nous suivait du regard en hérissant son petit panache de plumes grises. Le ciel lui-même prêtait à la variété du paysage. Les teintes changeaient à chaque instant, tantôt animées par un soleil brillant, tantôt assombries, lorsque cet astre se cachait derrière quelque gros nuage chassé par le vent d’ouest. Ce vent, d’abord très supportable, devint de plus en plus piquant ; il pénétra sous ma veste de toile, et à la sensation particulière qu’il m’apportait, je devinai l’approche de l’Océan. En effet, au détour d’une colline, à l’extrémité d’une courte vallée couverte de prairies et semée de bouquets d’arbres, j’aperçus sa belle nappe d’eau, semblable à un immense tapis verdâtre que les vagues blanchissaient çà et là en se brisant sur quelque roche submergée.

Une demi-heure après, j’étais à Paimpol, et le lendemain je voguais vers Bréhat sur un petit caboteur qui fait le service de l’île. À mon arrivée, je songeai à m’assurer d’abord la nourriture et le logement. Je trouvai bientôt l’un et l’autre ; seulement la chambre n’était pas meublée, et il me fallut louer un lit à l’un, une table à l’autre, des tréteaux et des planches à un troisième. Enfin mon installation fut complète, et je pus déballer livres, instrumens et bocaux. Ces préliminaires avaient employé la journée, et je dus remettre au lendemain mon premier voyage de découvertes. Dès l’aube, j’étais sur pieds et je cherchais quelque point culminant d’où je pusse embrasser de l’œil l’ensemble de mon île. Ce fut en vain. Bréhat est un véritable petit continent ; elle a ses plaines, ses plateaux élevés, ses chaînes de montagnes qui se masquent les unes les autres, le tout en miniature bien entendu et sur une échelle proportionnée à l’étendue de l’île, qui est d’environ trois quarts de lieue du nord au midi. Il fallut donc me résoudre à l’examiner en détail, et, après un coup d’œil jeté sur ma carte, je commençai mes excursions.

Prise dans son ensemble, l’île de Bréhat présente à peu près la forme d’un huit de chiffre profondément découpé par mille petites baies, hérissé de mille petits caps. Elle était autrefois partagée en deux îles distinctes que séparait pendant le flux un bras de mer d’une vingtaine