Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/608

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
604
REVUE DES DEUX MONDES.

déferle avec violence font naître dans l’esprit de l’observateur l’idée d’un grand cataclysme ; on dirait les fragmens d’un monde brisé. À Bréhat, ce sont aussi des ruines, mais des ruines qui n’ont rien de surhumain. J’ai vu en Alsace ou en Allemagne telle tour féodale dont les débris le disputaient en grandeur aux rochers de ces falaises, aux galets de ces grèves à la fois tristes et mesquines.

Plusieurs îlots, un nombre infini de rochers groupés autour de Bréhat, forment un petit archipel qui se prolonge vers le sud-ouest jusqu’à l’embouchure de la rivière de Pontrieux, et que l’île principale partage dans toute sa largeur en deux moitiés inégales. À l’est se trouvent Logodec, Lavrec, Raguenez-Meur, séparés de Bréhat par un bras de mer tortueux qu’on nomme la Chambre ; à l’ouest, Béniguet, Raguenez-Bras, Grouezen, sont placées en ligne droite le long d’un second chenal, le Kerpont, célèbre dans le pays par la violence de ses courans. Aucune de ces îles n’égale à beaucoup près Bréhat en étendue et en importance. Béniguet seule porte quelques maisons de ferme, et compte une trentaine d’habitans. Les autres sont désertes. Toutefois, elles n’en sont pas moins exploitées, et le moindre rocher qui porte à son sommet quelques pieds carrés de gazon est une propriété où paissent tantôt des bêtes à corne ou à laine, tantôt seulement quelques chèvres, qui peuvent y satisfaire pleinement leur instinct d’animaux grimpeurs.

Il paraît qu’à une époque reculée, les habitans étaient répartis sur tout l’archipel d’une manière plus égale. Sur plusieurs de ces roches isolées, on aperçoit les restes d’anciennes masures, demeures de pêcheurs ou de contrebandiers. L’île Verte, placée sur la lisière orientale de l’archipel, possédait même autrefois un monastère qui relevait de la riche abbaye de Beauport. Sans pouvoir préciser l’époque où fut fondé cet asile religieux, il est aisé de reconnaître au seul aspect de ses ruines qu’élevé dans des temps de troubles, c’était presque autant une citadelle qu’un couvent. Les constructions occupent toute la surface de l’île, et surplombent de toutes parts au-dessus d’un précipice profond. Même à basse mer, le rocher qui les porte est presque entièrement entouré par les vagues et baigné par des courans impétueux. Le seul point abordable est protégé par deux grosses roches isolées qui font l’office de brise-lames. C’est là qu’était le débarcadère dont on voit encore les deux digues parallèles formées d’énormes blocs de pierre brute. Une rampe très raide conduisait du rivage à une porte étroite et voûtée à plein cintre percée dans un mur de trois mètres d’épaisseur. À droite et à gauche, cette unique entrée était