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ces classes acquiert en outre quelques représentans : la première, l’hermine et le putois ; la seconde, plusieurs espèces de fauvettes et le merle noir ; la troisième, la couleuvre commune et la salamandre. Les oiseaux de rivage semblent pourtant faire une exception. Ici, leurs espèces sont plus rares et de moindre taille qu’à Chausey ; mais cette contradiction apparente s’explique par ce fait que les chenals de Bréhat sont bien moins poissonneux que ceux de cette dernière île, et que par conséquent rien n’attire les oiseaux pêcheurs, que leurs habitudes errantes distinguent d’ailleurs des vrais représentans de la faune indigène.

Les mammifères de Bréhat présentent un autre fait remarquable. Le genre rat y compte deux espèces, la souris et le rat noir. Or ce dernier devient de plus en plus rare, et tend chaque jour à disparaître du continent européen par suite d’une révolution non moins sanglante, mais moins généralement connue que celles qu’amena jadis dans nos empires l’invasion des barbares du Nord. Pendant des siècles, la souris, seul rat connu des anciens, a vécu à nos dépens, sans redouter d’autres ennemis, dans sa vie quasi-domestique, que l’homme qu’elle pillait et le chat, que celui-ci avait appelé à son aide contre un adversaire rendu redoutable par sa petitesse et sa timidité même. Vers le milieu du moyen-âge, le rat noir, venu on ne sait d’où, se répandit en Europe, et attaqua la souris, qui, trop faible pour résister, dut partager avec lui ses antiques domaines, heureuse encore d’échapper à une destruction complète, grace aux étroites galeries où son adversaire ne pouvait la poursuivre. Au commencement du siècle dernier, un nouveau rat, le surmulot, apporté de l’Inde par les navires de commerce, vint à son tour déclarer la guerre au rat noir. Plus fort, plus féroce et surtout plus fécond, il gagna rapidement du terrain. Le surmulot parut en Angleterre en 1730. Il ne se montra en France que vingt ans plus tard, et à l’époque où Buffon écrivait son immortel ouvrage, on ne trouvait ce rat que dans les environs de Paris ; il n’avait pas encore pénétré dans la ville, De nos jours, au contraire, on ne trouve plus que lui non-seulement dans la capitale, mais encore dans presque toute la France. Ami de l’eau et nageant très bien, il a suivi le cours des fleuves, et remontant leurs moindres affluens, il s’est répandu partout. Traqué par lui dans toutes ses retraites, le rat noir a été anéanti dans plusieurs de nos provinces, et s’est réfugié dans les moulins, dans les fermes isolées. À Chausey, je n’en ai pas vu un seul, tandis que le surmulot y abonde. Ce dernier ne tardera pas sans doute