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SITUATION DES PARTIS.

Je viens maintenant à la question qui, fort à l’improviste, et sans que personne s’y attendît, a failli renverser le cabinet.

Peu de jours avant la session, il y avait eu à Londres une manifestation légitimiste qui, avec ses grands et petits levers, avec son moniteur anglais, avec ses listes de nobles visiteurs, avec ses députations d’ouvriers et de paysans, avec ses allocutions aux fidèles de Normandie, de Bretagne ou de Provence, avait excité en France un tout autre sentiment que celui de la colère. Aussi, avant la discussion de l’adresse, tout le monde était-il d’accord pour reconnaître que la cause légitimiste y avait perdu, que la cause de la révolution de juillet y avait beaucoup gagné. Comme quelques députés, liés par leur serment à la dynastie et aux institutions nouvelles, s’étaient rendus à Londres et avaient pris une part quelconque à la manifestation, il paraissait pourtant naturel qu’une explication parlementaire eût lieu ; il paraissait naturel aussi qu’une phrase de l’adresse donnât à la dynastie et aux institutions nouvelles une marque spéciale d’adhésion. C’est précisément ce qu’on avait fait en 1834, quand Charles X mourut et qu’un petit congrès légitimiste se réunit autour de sa famille exilée. Mais quelle direction serait donnée à l’explication parlementaire ? quel caractère aurait le vote de la chambre ! Voilà toute la question.

Le premier jour, on s’en souvient, fut à double titre un jour de deuil pour le parti légitimiste et de triomphe pour le ministère. D’une part, le parti légitimiste hésitant, incertain, troublé, subit dans la personne de son principal orateur un échec incontestable ; de l’autre, M. Guizot parla avec une habileté, une mesure, une convenance à laquelle l’opposition rendit justice tout entière. Si l’on en fût resté là, ou si la phrase de l’adresse eût été au même diapason que le discours de M. Guizot, tout était bien, et la chambre, sans violence, sans injustice, donnait au parti légitimiste une utile leçon. Malheureusement cela ne pouvait suffire à certaines passions qui semblent aujourd’hui n’avoir plus aucun frein. Un moment ces passions avaient espéré obtenir de la chambre l’expulsion de ceux qu’on appelait les cinq députés parjures ; puis elles s’étaient repliées sur le projet d’une loi exceptionnelle qui frapperait de peines sévères toute communication avec le prétendant ; elles s’étaient enfin saisies avec ardeur d’un mot malheureux introduit par mégarde dans l’adresse. Outre qu’il était violent et injurieux, ce mot avait le grave inconvénient de placer les députés légitimistes dans l’alternative ou de renvoyer audacieusement à la chambre injure pour injure, ou de se déclarer moralement exclus. Aussi, le jour même où l’adresse fut lue, la chambre entière, ou peu