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qu’un départ précipité par ordre vienne punir un vote consciencieux ou le rendre impossible. Ceci est vrai pour le fonctionnaire le plus modeste comme pour celui d’un ordre élevé, et l’inviolabilité législative du substitut est protégée par le même principe que celle de l’ambassadeur.

Il n’est pas étonnant qu’une question aussi redoutable dans ses conséquences, et qui atteint directement un tiers de l’assemblée, ait vivement agité les esprits. Cette affaire est assurément l’une des plus délicates qu’un cabinet pût rencontrer sur son chemin, et l’on ne saurait comprendre qu’il ait pu se créer gratuitement un embarras de cette nature et d’une telle portée. Il est impossible de pressentir l’effet d’un débat engagé sur ce terrain, mais nous n’hésitons pas à dire que, selon nous, il ne s’en est jamais rencontré de plus glissant et de plus dangereux pour un cabinet.

Quelle que puisse être l’issue de la discussion qui s’engagera bientôt sur la proposition de M. Rémusat et l’affaire de M. de Salvandy, nous formons des vœux pour que ce débat raffermisse la position du ministère, ou qu’il mette sans retard la couronne en mesure d’aviser.

Les situations provisoires sont les plus funestes aux intérêts permanens du pays, et ne contribuent pas peu à fausser le mécanisme du gouvernement représentatif. C’est dans des circonstances analogue que s’établissent et se répandent ces maximes, qu’on peut laisser vivre un cabinet sans lui prêter de la force ; qu’il est loisible d’être de l’opposition dans toutes les questions d’affaires, en restant ministériel dans toutes les questions de cabinet : maximes fausses et dangereuses qui entament de plus en plus l’unité si long-temps compacte du parti conservateur.

Nous comprenons à merveille qu’au sein de cette grande opinion il s’établisse une dissidence sincère sur la question de savoir s’il convient de soutenir énergiquement le ministère du 29 octobre, ou s’il ne vaudrait pas mieux le renverser. Des motifs graves peuvent être allégués de part et d’autre, et rien de plus légitime que l’hésitation d’un honnête homme dans une telle alternative. On peut dire, d’un côté, que le cabinet a contribué à assurer la paix du monde, et qu’il réunit dans son sein un ensemble de talens et de lumières assez difficiles à remplacer ; on peut établir, de l’autre, qu’il est dangereux de faire reposer si long-temps le pouvoir sur une base étroite et exclusive, au risque de rejeter une partie de la chambre dans une opposition qui dépasserait les limites de la constitution elle-même, si cette portion du parlement se voyait systématiquement déshéritée de toute participation au pouvoir ; on peut enfin mettre en regard du talent des hommes les difficultés de leur position personnelle, et aspirer, sans cesser d’être conservateur, à voir d’autres instrumens appliquer avec plus de liberté une pensée politique non moins conservatrice. De ces deux partis à prendre, il n’en est aucun qui ne puisse se défendre par des motifs graves et des considérations vraiment politiques. Mais une troisième opinion tend à s’établir dans les rangs de la majorité et nous n’en savons pas de plus contraire à l’esprit du gouverne-