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L’ISTHME DE PANAMA.

M. Lepère, comparant la navigation de l’Inde par le cap de Bonne-Espérance avec celle par la Méditerranée, l’Égypte et la mer Rouge, a trouvé que la différence de trajet serait de 26,100 kilomètres à 13,300, de près de moitié. Il estimait que, si l’on coupait l’isthme de part en part de Suez à Thyneh, la traversée pourrait être réduite de cinq mois à trois. L’art de la navigation s’est perfectionné depuis lors, mais dans les deux directions également le voyage en serait abrégé[1], et le rapport des durées des traversées resterait le même.

Concluons au sujet de l’isthme de Panama. Le problème de la jonction des deux océans par un canal maritime se présente aujourd’hui à Panama dans des termes tels que, si la scène se passait en Europe, le dénouement serait plus facile, du moins en ce qui concerne le creusement proprement dit du canal, que ne l’a été la réunion de l’Atlantique à la mer du Nord par le canal Calédonien, ou celle d’Amsterdam au mouillage du Helder par le canal du Nord. Ce ne serait qu’un jeu pour des gouvernemens tels que le nôtre ou celui de la Grande-Bretagne. En effet, le développement de la ligne serait plus court que la ligne d’Amsterdam au Helder, dans le rapport de 54 1|2 à 81 ou de 1 à 1 1/2. À la vérité, il serait plus long de moitié que l’ensemble des coupures exécutées entre les lacs ou latéralement aux rivières sur le canal Calédonien ; mais la pente à racheter par des écluses serait à peu près nulle, tout comme sur le canal du Nord (nous raisonnons toujours dans l’hypothèse de l’exactitude du plan de M. Morel), tandis que sur le canal Calédonien on a dû construire 23 écluses pour racheter une pente d’environ 100 pieds anglais[2] de chaque côté, sans compter quelques écluses régulatrices, c’est-à-dire servant par leurs portes à retenir les eaux pendant les crues des lacs ou des rivières.

Mais dans l’isthme de Panama il n’est pas aisé d’apprécier ce que coûterait un ouvrage semblable. La population y est clairsemée ; elle est généralement peu amie du travail ; elle n’en sent pas assez le besoin. Au sujet du nombre des ouvriers qu’on pourrait ramasser avec le concours actif du gouvernement grenadin, les renseignemens les plus contradictoires ont été produits. À qui croire ? La présomption est cependant qu’il serait indispensable d’emmener d’Europe des maçons, des mineurs, des terrassiers même. Voulussent-ils travailler,

  1. M. Lepère supposait que le but du voyage serait Pondichéry et que le point de départ serait Lorient, dans le cas du trajet par le Cap, et Marseille dans l’autre cas.
  2. Exactement 27 mètres 45 centimètres du côté de l’Atlantique, et 28 mètres 68 centimètres du côté de la mer du Nord.