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ESSAIS D’HISTOIRE PARLEMENTAIRE.

tres à le conserver nominalement dans leurs rangs, on ne se rend pas aussi bien compte des motifs qui purent le déterminer à y rester si long-temps. Sans doute, il lui répugnait de terminer obscurément un second ministère qui devait faire un étrange contraste avec la gloire du premier. Il finit pourtant par sentir qu’en persistant à protéger de son nom des mesures qu’il n’approuvait pas, il en accepterait toute la responsabilité. Déjà très mécontent des voies nouvelles où l’on venait d’entrer à l’égard des colonies, il ne put se résigner à la faiblesse qui tolérait l’agrandissement de la France. Sa démission (octobre 1768), à laquelle il donna pour motif l’état de sa santé, suivit de près celle de lord Shelburne. Comme le poste qu’il occupait n’avait d’autre importance que celle du titulaire, sa retraite n’amena aucun changement dans l’administration, et le public, qui s’y attendait depuis long-temps, y fit à peine quelque attention.

Rendu à la vie privée, lord Chatham s’abstint, pendant une session entière, de toute participation aux débats du parlement. Un repos absolu lui était nécessaire pour rétablir sa santé. Il profita d’ailleurs de ce loisir inaccoutumé pour se réconcilier non seulement avec lord Temple, mais avec George Grenville, avec le marquis de Rockingham, avec tous les chefs marquans du parti whig. Ce parti, qui ne s’était détaché de lui qu’incomplètement et à regret, accueillit avec empressement le retour de son favori. Lorsqu’il reparut dans la lice parlementaire, il avait recouvré toute sa popularité.

Pendant l’année qui venait de s’écouler, d’importans incidens avaient encore aggravé la situation du pays. Les troubles des colonies avaient pris un caractère de plus en plus sérieux, qui avait donné lieu, dans les deux chambres, à de très vifs débats. Le démagogue Wilkes ayant été, comme je l’ai déjà dit, élu membre de la chambre des communes, celle-ci avait annulé l’élection ; mais les électeurs l’avaient renouvelée à plusieurs reprises, en sorte que, pour mettre un terme à cette lutte, elle s’était décidée à considérer comme non avenus les votes donnés à ce factieux, et à recevoir au nombre de ses membres le candidat sur lequel s’étaient réunis les suffrages de la minorité. Cette résolution étrange, repoussée par l’opposition comme la violation flagrante du principe même de la représentation populaire, était devenue dans le parlement, dans la presse, dans le pays tout entier, le texte d’une polémique dont les lettres de Junius nous ont transmis la fougueuse expression.

L’état des colonies et l’affaire de Wilkes, c’étaient donc là les deux grandes questions du moment. C’est par elles que lord Chatham re-