mariniers déchargent et vendent sur le quai. Autour des matelots se pressent des femmes voilées, vêtues de tuniques de toutes couleurs, les pieds dans des bottines de maroquin ; des nègres à la face écrasée, la tête couverte d’un lambeau d’étoffe écarlate ; des enfans presque nus ; des juifs aux robes flétries, glissant dans la foule sans toucher personne ; des Grecs bavards à la mine effrontée ; des soldats gênés dans l’affreux uniforme moderne, et de riches Turcs qui passent gravement couverts de longues pelisses aux manches tombantes.
Nous quittâmes la forteresse, impatiens de parcourir la vieille cité que nous venions de contempler à vol d’oiseau. La porte de la ville s’ouvre entre deux grosses tours au bout de la jetée ; quand nous passâmes sous la voûte, les factionnaires, assis à l’ombre, avaient posé leurs fusils contre la muraille et caressaient paisiblement leurs pieds avec les mains. La première rue qu’on rencontre de ce côté est celle des Chevaliers : ce nom est sans doute une de ces enseignes que la tradition place sur les ruines, car cette rue dont tous les voyageurs parlent de préférence aux autres, où ils ne voient qu’un amas de maisons turques ou juives, n’est, comme la ville elle-même, qu’une suite d’habitations du moyen-âge, à entrées basses, surmontées d’écussons la plupart aux armes de France. Je revis là les armoiries que j’avais si tristement foulées aux pieds à Malte, dans l’église Saint-Jean, où elles étaient usées par le frottement des chaussures. À Rhodes, taillés dans le marbre blanc et conservés par ce ciel charmant qui a respecté le Parthénon et les statues de la Grèce, ces écussons se détachent intacts dans tout l’orgueil des devises sur les noires murailles des édifices.
La rue des Chevaliers est montueuse, déserte, remplie d’herbes et de pierres roulantes ; nos pas résonnaient au loin comme sur les dalles d’un caveau. Çà et là s’ouvre un arceau en pierres de taille servant d’entrée à une autre rue noire, étroite, profonde, qu’on voit serpenter dans l’ombre avec ses portails sculptés et ses écussons. Aucun bruit ne se faisait entendre. Quelques fenêtres grillées étaient garnies de fleurs ; nos éclats de voix, nos surprises, faisaient apparaître des têtes de femmes ou d’enfans ; de petites mains écartaient avec précaution les plantes entrelacées aux barreaux ; les plus jeunes filles, à la vue des uniformes étrangers, restaient un instant étonnées, la bouche entr’ouverte, montraient leurs grands yeux ravis, leurs cheveux noirs chargés de sequins d’or ; puis, rencontrant un de nos regards hardis, elles rentraient dans le feuillage comme des oiseaux. Les vieilles femmes ramenaient leur voile sur le visage ; des Turcs, seigneurs actuels de