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JEAN-PAUL RICHTER.

d’un âge d’or vous frappe dans ses écrits ; et si de la question littéraire vous passez à la morale, vous retrouvez cette innocence candide, cette pureté des premiers ans qui devait si vivement impressionner les rigides matrones du cercle de Weimar, quelque peu effarouchées de la licence où menaçait d’incliner la poésie allemande pendant la période illustre. On compta un moment sur lui pour rendre à la Muse son autorité morale fort compromise par les privautés du maître Wolfgang et les incroyables tentatives du disciple Lenz. Compter sur lui en pareille occasion, c’était ne pas le connaître. Il n’y avait et ne pouvait y avoir rien à attendre pour l’action de cette existence vouée aux rêves d’un éternel printemps, et qui plus tard, après des déceptions sans nombre et sentant bien, quant au fonds, la vanité des théories anciennes, n’en persista pas moins de parti pris dans cet enthousiasme bénévole et candide d’une ame adolescente à qui le monde ne s’est pas ouvert encore. On n’ignore pas quels désenchantemens attendent sur le seuil de la vie les ames honnêtes et crédules, dupes sublimes des plus sincères illusions, diamans bruts que le fil de l’acier va polir s’ils résistent. Eh bien ! c’est là surtout que Jean-Paul excelle ; jamais il ne rencontre mieux que lorsqu’il s’agit pour lui de peindre ce brusque choc de l’idéal contre la réalité, ce mélange de ridicule et de sentimental que la situation porte avec elle, témoin les Années d’école buissonnière (Flegeljahre), une de ses plus charmantes productions, la seule classique peut-être, en cela que la diffusion, ce défaut habituel du maître, ne s’y laisse presque pas surprendre. Quel dommage que les extrêmes l’aient si fort tenté dans la suite, et qu’il se soit tenu si peu à ce milieu parfait une fois trouvé entre l’exagération d’une indifférence humoristique et la sensiblerie ! Et ces extrêmes dont nous parlions, n’est-ce pas aussi le propre de la jeunesse d’y donner à plein collier ? n’est-ce pas elle qui, rebutée au contact du réel, se jettera soudain dans la misanthropie et le scepticisme, affectant aux yeux du monde je ne sais quelle fausse énergie de convention, quitte à se vouer huit jours plus tard au culte oisif et solitaire d’un idéal à jamais refoulé dans les profondeurs de l’être ? Je viens de nommer les extrêmes où Richter se complaît. Tandis qu’il tourne avec mépris le dos à la société, tandis qu’il enveloppe en un égal sarcasme l’homme et le monde, vous le voyez se recoquiller en lui-même, s’enfermer dans tout ce que la vie a d’étroit, de borné, de mesquin, et finir par retrouver là, au sein d’une médiocrité paisible et cachée, dans le commerce des espérances d’une autre vie, le bonheur perdu pour lui au dehors. Étudiez Jean-Paul sous ce point de