Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/851

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
847
JEAN-PAUL RICHTER.

vinrent, Jean-Paul n’en démordit pas. Au lieu de se laisser convaincre par leurs argumens épistolaires, il les réfuta l’un après l’autre avec le sérieux et la patience d’un rhéteur byzantin, invoquant des raisons de fortune et de santé en faveur de ses goûts excentriques. Cette manie de porter les cheveux courts lui épargnait son temps et son argent, et le débarrassait de l’insupportable tyrannie du coiffeur. Quant à la cravate, il en faisait le procès en deux mots. Quoi de plus dangereux en effet que cette habitude de se serrer les veines du cou (il était de nature apoplectique), et comment tolérer de gaieté de cœur une si effroyable gêne ? Et lorsque par hasard quelque sage du bon vieux temps, l’excellent Vogel par exemple, lui disait en souriant qu’il fallait autant que possible faire comme tout le monde, et que la vraie philosophie n’était point de prétendre que les autres se réglassent sur nous, mais bien au contraire de nous conformer, nous, à la règle commune, il se fâchait tout rouge, et commençait à déclamer contre les proverbes, « qui, poursuivait-il, ne prouvent rien, ou plutôt prouvent trop, car si je ne résiste au torrent, le torrent finira par emporter ce qu’il peut y avoir de bon en moi. Le royaume du vice est tout aussi grand, tout aussi vaste que celui de la mode, et si je dois hurler avec les loups, pourquoi ne déroberais-je point avec eux ? Quant à moi, je tiens cette coutume de consulter dans nos moindres actions le jugement d’autrui pour la ruine de tout repos, de toute sagesse, de toute vertu. » Bizarre discussion où de part et d’autre, comme on pense, les sophismes ne manquent pas, où les noms de Diogène et de Rousseau devaient jouer leur rôle, et qui ressemble assez, comme toutes les discussions de ce genre, à une partie d’échecs, avec cette différence que les idées, ici, remplacent les pions dans la manœuvre.

Quand on pense à la situation de fortune où se trouvait Jean-Paul à cette époque, on ne peut s’empêcher d’admirer le ton d’enjouement qui éclate dans toute cette correspondance pleine de folles boutades et de traits mordans. Il fallait certes que cette verve humoristique dont abondent tous ses écrits fût bien profondément enracinée au centre de son être pour ne point se démentir en d’aussi difficiles circonstances : en effet, de tous côtés la misère le pressait, cette affreuse misère de l’homme de lettres à qui l’éditeur manque, ce dénuement sans espérance contre lequel le travail lui-même ne peut rien ; car si le tisserand à son métier, si le forgeron à son enclume, assurent par leur sueur de la journée le pain du soir à leur famille, le malheureux ouvrier qui n’a d’autre instrument que son cerveau, d’autre moyen d’existence que sa pensée, se débat dans le vide, seul avec ses rêves