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REVUE DES DEUX MONDES.

« Et de tout cela il faut conclure :

« Non point que nous sommes malheureux, mais que nous sommes immortels, et que cet autre monde qui habite en nous annonce en dehors de nous un autre monde qu’il infirme. Ah ! que ne pourrait-on pas dire de cette vie, dont le début se manifeste si clairement dès celle-ci, et qui double si glorieusement notre être ? Pourquoi la vertu est-elle une chose trop élevée, trop sublime pour nous rendre parfaitement heureux ? Pourquoi notre impuissance à conquérir les biens de la terre s’accroît-elle en mesure d’une certaine pureté de caractère ? D’où nous vient cette fièvre lente qui consume notre poitrine, amour infini d’un objet infini, passion dévorante qui n’a d’espoir que dans la mort ?

« Oui, quand tous les bois de cette terre seraient de myrtes et de roses, quand toutes les vallées seraient des vallées de Campan, toutes les îles des Îles Fortunées, tous les jardins des Élysées, et quand la joie sereine y brillerait dans tous les yeux, oui, même alors la pureté de cette extase témoignerait à notre esprit de sa durée. Mais hélas ! lorsque tant de maisons sont des maisons de deuil, tant de champs des champs de bataille, lorsque la pâleur couvre tant de visages et que nous passons chaque jour devant tant de pauvres yeux flétris, rouges, déchirés, éteints, oh ! mon Dieu ! se pourrait-il que la tombe, ce port de salut, fût le gouffre où tout doit s’abîmer ! Et lorsque après des milliers et des milliers d’années notre terre aurait péri par le voisinage incendiaire du soleil, lorsque tout bruit vivant se serait enseveli dans ses entrailles, voyez-vous l’Esprit immortel, abaissant ses regards sur ce globe muet, se dire, en contemplant ce grand char mortuaire : « Voilà le cimetière de la pauvre humanité qui plonge dans le cratère du soleil. Sur cette sphère en cendres, d’innombrables ombres ont gémi, ont pleuré ; maintenant tout s’est évanoui pour jamais. Plonge donc, désert muet, désert stérile, plonge donc dans l’abîme qui va t’engloutir à ton tour, avec les larmes et le sang dont tu fus imbibé.

« Non ! Le ver torturé se redresse et dit au créateur : Tu n’as pas pu me créer pour souffrir, tu ne le devais pas !

« Et qui donne au ver de terre le droit de parler ainsi ?

« Le Tout-Puissant lui-même, qui met en nous la miséricorde, l’esprit de toute bonté, dont la voix parle en notre ame et l’apaise, et qui seul éveille dans nos cœurs ces aspirations, ces élans d’espérance vers lui. »

La philosophie de Richter part des profondeurs de l’ame humaine et donne pour produit un noble système de moralité, et par instans la plus ferme, la plus sincère conviction religieuse ; bien entendu qu’il