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— Vous avez vu le médecin, demanda Max ; que dit-il ?

Mme de Piennes secoua la tête : — Elle n’a plus que bien peu de jours à passer dans ce monde. Ce matin, on l’a administrée.

— Sa figure faisait mal à voir, dit Max en s’avançant dans l’embrasure d’une fenêtre, probablement pour cacher son émotion.

— Sans doute il est cruel de mourir à son âge, reprit gravement Mme de Piennes ; mais, si elle eût vécu davantage, qui sait si ce n’eût point été un malheur pour elle ?… En la sauvant d’une mort désespérée, la Providence a voulu lui donner le temps de se repentir… C’est une grande grace dont elle-même sent tout le prix à présent. L’abbé Dubignon est fort content d’elle. Il ne faut pas tant la plaindre, Max !

— Je ne sais s’il faut plaindre ceux qui meurent jeunes, répondit-il un peu brusquement… moi, j’aimerais à mourir jeune ; mais ce qui m’afflige surtout, c’est de la voir souffrir ainsi.

— La souffrance du corps est souvent utile à l’ame…

Max, sans répondre, alla se placer à l’extrémité de l’appartement, dans un angle obscur à demi caché par d’épais rideaux. Mme de Piennes travaillait ou feignait de travailler, les yeux fixés sur une tapisserie, mais il lui semblait sentir le regard de Max comme quelque chose qui pesait sur elle. Ce regard qu’elle fuyait, elle croyait le sentir errer sur ses mains, sur ses épaules, sur son front. Il lui sembla qu’il s’arrêtait sur son pied, et elle se hâta de le cacher sous sa robe. — Il y a peut-être quelque chose de vrai dans ce qu’on dit du fluide magnétique, madame.

— Vous connaissez M. l’amiral de Rigny, madame ? demanda Max tout à coup.

— Oui, un peu.

— J’aurai peut-être un service à vous demander auprès de lui… une lettre de recommandation…

— Pour qui donc ?

— Depuis quelques jours, madame, j’ai fait des projets, continua-t-il avec une gaieté affectée. Je travaille à me convertir, et je voudrais faire quelque acte de bon chrétien ; mais, embarrassé, comment m’y prendre ?…

Mme de Piennes lui lança un regard un peu sévère.

— Voici à quoi je me suis arrêté, poursuivit-il. Je suis bien fâché de ne pas connaître l’école de peloton, mais cela peut s’apprendre. En attendant, je sais manier un fusil pas trop mal…, et ainsi que