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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

il le répète mainte fois : « Je ne puis pas, dit-il, admettre l’erreur dans la raison. — Le problème le plus difficile est celui de l’erreur[1]. » M. Rosmini croit résoudre ce problème en combinant une théorie de Descartes (le prédécesseur de Kant) avec une théorie de Locke ; le premier attribuait l’erreur à la volonté, le second à un jeu de la réflexion ; le philosophe italien, en unissant la volonté et la réflexion, constitue une seconde intelligence hors de l’intelligence, une seconde raison en même temps volontaire et réfléchie, libre et arbitraire, et qu’il rend responsable de toutes les aberrations. Nous avons la conscience intime et profonde que toute erreur est involontaire ; nous voyons les hommes divisés en partis, en sectes, et cependant nous savons que la mauvaise foi dans la dissidence est une exception ; le sens commun ne confond jamais l’erreur avec le mensonge. D’ailleurs, rien de plus évident que l’unité et la fatalité logique de la pensée : cette fatalité supprimée, nous serions les maîtres de la vérité et de la réalité. N’importe, M. Rosmini impute l’erreur à la volonté ; l’alternative est inévitable : ou son système est faux, ou il faut rejeter le témoignage du sens commun et de la conscience. M. Rosmini n’hésite pas ; ne pouvant ni expliquer l’erreur, ni la nier, il imagine deux intelligences, l’une infaillible, l’autre faillible ; l’une impersonnelle, l’autre personnelle, et, par cet étrange dédoublement de la raison, il transforme l’erreur en un mensonge, en une révolte de l’intelligence personnelle et volontaire contre l’intelligence impersonnelle. Une théorie analogue avait déjà perdu les cartésiens ; grace à son imagination, M. Rosmini en fit le principe d’une nouvelle morale, d’une nouvelle explication du christianisme, et d’une nouvelle philosophie de la politique.

III.

C’est à la philosophie de la morale que M. Rosmini fit la première application de son système. Il consacra quatre ouvrages à cette nouvelle question : la Philosophie de la morale, l’Histoire comparée des Systèmes moraux, le traité de la Conscience morale et l’Anthropologie. Le bien, suivant lui, n’est que le vrai ; l’intelligence impersonnelle proclame la loi morale dans l’acte de la perception ; l’intelligence volontaire, selon qu’elle obéit ou non à l’intelligence imper-

  1. Philosophie politique, p. 418 ; Philosophie du droit, p. 61 ; Nouvel essai, vol. III, p. VI.