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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

part, à l’alternative de Foscolo et de Gioja, libre à lui ensuite de parcourir de nouveau son cercle magnifique pour osciller dans l’alternative éternelle des antinomies de Kant. Non pas que la philosophie soit condamnée au scepticisme : l’humanité est en marche depuis cinq mille ans sans même élever un doute sur le bonheur et la vertu ; mais pour se rallier à l’histoire, pour réaliser cette grande conception chrétienne, la science doit chercher la vertu et le bonheur là où ils sont, les théories qui aspirent à une vertu spéculative se détruisent toujours par elles-mêmes, grace à cette propriété merveilleuse de la raison qui anéantit l’erreur par l’erreur.

IV.

M. Rosmini a considéré la raison impersonnelle comme la vérité, l’intelligence personnelle comme la puissance de l’erreur : la première nous divinise par le christianisme, la seconde tend sans cesse à nous dégrader. C’est par cette antithèse que M. Rosmini crée une nouvelle philosophie de l’histoire, qui est peut-être la partie la plus ingénieuse de son système.

Comme le premier principe de la pensée est l’idée de l’existence, l’existence doit être le premier but de la société ; plus les hommes aspirent à constituer l’état, plus ils se fortifient ; plus ils cherchent à le perfectionner, plus ils s’affaiblissent. À ce point de vue, l’histoire de toutes les nations se divise en quatre époques, suivant qu’elles tiennent avant tout à l’existence, ou qu’elles préfèrent les accidens de la puissance, de la richesse et du plaisir.

Dans la première époque, les hommes éprouvent le besoin de s’arracher à l’état de souffrance et d’isolement ; tous cèdent à la vérité immédiate de ce besoin, tous veulent s’associer ; l’unité du but leur sert de frein moral : ils se sentent frères dans l’état, et cette fraternité les transforme en héros. Menacés dans la patrie, ils consentiront à la défendre jusqu’à la mort. C’est l’âge d’or de l’histoire ; tous les moyens alors conspirent au même but ; l’harmonie est complète entre l’homme et le citoyen, les mœurs et les lois, les vertus et les intérêts. Bientôt la société, munie d’armes et de lois, passe de la défense à l’attaque, de la résistance à la conquête ; elle veut grandir, et l’action des lois devient plus sévère, la propriété isole les hommes, l’ambition les rend durs et injustes. On est à la seconde époque, la puissance fait oublier l’existence les vertus primitives s’altèrent ; un patriotisme am-