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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 5.djvu/991

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LA PHILOSOPHIE CATHOLIQUE EN ITALIE.

instincts de la nature humaine, accablée en quelque sorte par sa propre vertu, la philosophie ne put long-temps résister au courant général ; elle se fit épicurienne. Alors elle pénétra partout, elle envahit les palais, le forum, les théâtres ; auparavant elle contemplait, depuis elle précipita la décadence du monde ancien.

Rien donc n’arrête la dégradation progressive des masses ; contenu au commencement par les individus, le mal finit par les gagner. Tel fut le sort de la société païenne : tout espoir semblait perdu pour elle, tous les liens invisibles de l’affection et du droit étaient brisés dans l’état ; mais, quand le monde ancien ne put être racheté ni par les lois, ni par les conquêtes, ni par les philosophies, le christianisme annonça la bonne nouvelle, il promit la rénovation de toutes choses. Et nous qui venons deux mille ans après l’Évangile, ajoute M. Rosmini, nous savons qu’il a tenu ses promesses : les sociétés frappées de mort sont ressuscitées, la civilisation s’est renouvelée, l’église grandit tous les jours, elle a déjà réuni les membres les plus éloignés de la grande famille de l’humanité. Comment s’est opéré ce prodige de la rédemption ? Si le miracle est divin, le fait est humain, assure M. Rosmini, et on peut l’analyser. À l’époque d’Auguste, le genre humain avait épuisé toutes les épreuves ; il avait successivement cherché le bonheur dans la puissance, dans la richesse, dans le plaisir, et le bonheur lui avait sans cesse échappé. Le christianisme condamna la terre, il promit la béatitude dans le ciel ; ainsi il triompha du plaisir, et toutes les espérances furent relevées. Les législateurs s’adressaient à l’état, à la famille, les philosophes aux savans ; on demandait à l’homme quelques vertus seulement, parce qu’on avait méconnu l’ensemble de nos instincts. Le christianisme réclama toutes les vertus, s’adressa au cœur ; il fit appel à tous les hommes sans distinction d’âge, de sexe, d’éducation, de race, de langage, d’instruction, et il devint le refuge des masses, sacrifiées à jamais par l’organisation des sociétés anciennes. L’intelligence païenne enchaînée à la sensation se flétrissait, le christianisme parla de Dieu, de l’esprit, du ciel ; il ouvrit à la pensée humaine des horizons d’une largeur inattendue, elle put dès-lors embrasser le plus grand nombre, l’abstraction la plus élevée, le temps et l’espace les plus étendus qu’il fût possible de concevoir. Le christianisme comprend dans une seule étude, celle de Dieu, tous les biens et toutes les connaissances. Il dédaigne le temps, se propage dans tous les climats, et prêche un Dieu sans forme, qu’aucune figure ne représente, qui est partout, et nous commande de vivre dans ce monde comme si ce monde n’était pas : abstraction, nombre, temps, espace,