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est averti que le moment des semailles est venu par ce cri de la grue, qui retentissait si tristement aux oreilles du poète Théognis lui rappelant que d’autres avaient un champ à labourer, et que lui-même avait été dépouillé des champs paternels.

Comme l’épopée, la poésie lyrique des Grecs a son origine du côté de l’Asie. Aleman est de Sardes, Callinos d’Éphèse, Mimnerme est de Smyrne. Des rivages de l’Asie mineure, cette poésie s’avance d’île en île, semant ses chants mélodieux sur les flots. Presque tous les précurseurs de Pindare sont nés dans quelqu’une de ces îles de la mer Egée, brillans anneaux d’une chaîne qui semble flotter entre l’Asie et la Grèce. Lesbos se glorifie de Terpandre, de Sapho et d’Alcée, Téos d’Anacréon, Paros d’Archiloque, Céos de Simonide. A mesure que le voyageur voit ces îles dorées par le soleil surgir comme des Néréides élevant au-dessus des flots leur chevelure blonde, chacune d’elles semble lui jeter en passant le nom d’un poète. En vue de Mitylène ou de Téos, il croit presque entendre les accens passionnés de la muse éolienne ou les doux sons de la cithare d’Ionie ; tout lui rappelle une poésie ardente comme ce soleil ou fraîche comme ces vagues.

Cependant le Thébain Pindare nous enlève à cette atmosphère lumineuse et nous reporte de nouveau sous le ciel moins serein de la Béotie. Comment Pindare est-il Béotien ? On pourrait, répondre : La Fontaine est bien Champenois, et repousser comme un préjugé populaire sans fondement l’anathème intellectuel jeté par l’antiquité sur les Béotiens. Peut-être vaut-il mieux le restreindre en l’expliquant. La contrée qui a produit Hésiode, Pindare et Épaminondas, n’est pas une contrée déshéritée du génie poétique et du génie militaire ; mais ce qui peut être vrai, c’est que la fraîche Béotie, avec ses lacs, ses prairies, ses plaines fertiles, son sol humide, la Béotie dans laquelle un Allemand de nos jours, M. Ulrichs, a cru retrouver l’Allemagne, donnait le jour à des esprits moins prompts et moins faciles que l’Attique, dont l’air était plus sec, plus léger, plus vif, par cela même que le sol était plus aride. Ceci semble une loi générale, et la Grèce nous en offre d’autres exemples[1]. Sur ce qui n’était qu’une différence de génie, les beaux-esprits et les poètes comiques d’Athènes prononcèrent une condamnation dédaigneuse et sans appel. Les pauvres Béotiens furent traités par leurs rivaux politiques à peu près comme, dans le siècle dernier, l’esprit allemand, avec ses allures lentes et posées, fut traité

  1. Les habitans de l’Acarnanie, l’une des plus fertiles contrées de la Grèce, passaient, comme les Béotiens, pour avoir l’esprit pesant.