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prison de Londres qu’il faut l’aller chercher. On n’en salue qu’avec plus d’amour les débris peu nombreux qui ont échappé à la barbarie des conquérans ou à la rapacité des connaisseurs. On contemple quelques bas-reliefs oubliés au Parthénon comme on recueillerait des pages déchirées d’Homère ; ils suffisent pour faire pénétrer l’âme plus avant dans les mystères de la poésie grecque, car ils sont beaux de la même beauté, de cette beauté tranquille et sereine qui n’éblouit pas d’abord, mais qui, s’insinuant dans l’âme sans la troubler, finit par la remplir et la posséder.

La matière de la poésie grecque ressemble à la matière de la sculpture antique, la langue ressemble au marbre ; c’est de même une substance fine, ferme et pure, qui se prête aux contours à la fois faciles et précis, qui tout ensemble enchante le regard et le repose. Les sculptures de l’Acropole ont la perfection exquise de l’art athénien ; elles sont sœurs de la poésie du grand siècle d’Athènes et lui ressemblent. Les canéphores du Pandrosium ont la chaste beauté de Sophocle : une Victoire qui s’incline pour rattacher son brodequin est adorable encore ; mais on sent déjà poindre cette grâce moins naïve qui sera la grâce d’Euripide.

Rapprochant la poésie antique de la poésie du moyen-âge, je comparais dans ma pensée les gracieuses canéphores du temple d’Érechthée aux cariatides accroupies qui soutiennent à Florence les arceaux de la loge d’Orcagna. Les figures d’Orcagna semblent supporter tout le poids de l’édifice, et la fatigue de leur attitude gênée, ainsi que Dante l’a exprimé admirablement, se communique au spectateur. A voir les vierges du Pandrosium, on éprouve, au contraire, comme un sentiment d’aisance et de légèreté ; c’est que l’artiste grec a eu soin que l’architrave ne pesât pas uniquement sur leurs têtes. De même, tandis que la poésie moderne, comme écrasée par un laborieux effort vers l’infini, courbe le front et plie sous le poids qu’elle aspire à soulever, la poésie antique, debout après tant de siècles, le front haut et serein, porte légèrement sur la tête sa corbeille de fleurs.

Il ne nous reste de peinture athénienne que sur les vases. Les vases peints d’Athènes ont une grâce et une délicatesse particulières ; en général, le tracé est rose sur un fond blanc, la pâte fine et légère, les formes sont sveltes, les dimensions peu considérables, les proportions parfaites ; en regardant ces vases attiques, on sent mieux ce qu’était cette élégance que les anciens appelaient l’atticisme.

L’architecture offre plus d’un enseignement à celui qui étudie en Grèce le génie de la poésie grecque ; qu’on me permette de renvoyer