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Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/1027

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SIMPLES ESSAIS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

convenances deviennent ivraie et folles herbes qu’il foule aux pieds, témoin ce malheureux livre d’Esquisses et Portraits, auquel il faut cependant bien en venir.

Ce livre me fait l’effet d’un bal masqué, et le dépit fort naturel qu’ont dû ressentir quelques femmes en s’y trouvant commises me représente assez le sentiment d’une personne bien élevée dont un indiscret trahirait l’incognito en lieu suspect. Non que je mette ici l’indiscrétion sur le compte de l’exactitude des portraits, à Dieu ne plaise ! Laissez faire le peintre et vous serez à cent lieues du modèle. Mais comment se tromper à ces initiales dont le titre qui les précède, ou toute autre désignation spéciale dissiperait encore l’énigme, s’il pouvait y en avoir ? Comment oublier ce fil d’Ariane que M. de La Rochefoucauld, trop défiant de lui-même, a grand soin de vous confier avant de s’engager à travers les fantastiques labyrinthes entrevus par lui dans le cœur humain ? Ainsi, dès l’abord, vous voyez défiler sous vos yeux les plus nobles femmes de la société parisienne, les plus spirituelles et les plus élégantes, en compagnie de personnages choisis parmi les illustres de la restauration et de notre époque. C’est M. de Villèle en cordon bleu, M. Guizot en habit de ministre, M. de Lamennais en soutane ; que sais-je, moi ? Abd-el-Kader ! qui figure là entre la femme de ménage et la femme auteur, sans doute pour que rien ne manque à la mascarade, pas même l’ancien Turc obligé. Il y a pourtant dans ces deux volumes une chose charmante et qu’on nous permettra de louer tout à notre aise, nous voulons parler du titre des chapitres. On n’imagine rien de plus aimable, de plus frais, de plus intéressant que cette partie de l’ouvrage de M. de La Rochefoucauld. Ce sont à chaque page des noms d’une élégance et d’une grace exquises : Hyacinthe, Lucile, Juliette, Marguerite, Elvire, Marie. Si j’étais romancier, il me semble que ce livre précieux me deviendrait d’une ressource inépuisable. Que sert, en effet, de tant se mettre en frais d’esprit pour aller chercher aux antipodes ce qu’on a sous la main ? Il en est un peu des noms comme de la poésie et des fleurs, les plus simples sont les meilleurs. À propos de la poésie, on nous répète sans cesse qu’elle est morte, et qu’il faudrait, elle aussi, l’aller chercher bien loin. Et cependant, si nous prenions garde, combien de légendes autour de nous ! même en ces temps de chemins de fer et d’exposition de l’industrie, combien de suaves et tendres élégies ! Savez-vous dans André Chénier un plus touchant poème que ce simple fait rapporté l’autre matin par les journaux et passé sans doute inaperçu dans le torrent des nouvelles publiques ? Une jeune fille d’Inspruck