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devant les tribunaux, et le public a pris hautement parti pour eux. Les idées d’union Scandinave, qui depuis plusieurs années se sont propagées en Suède, en Norvège, en Danemark, dans le cœur d’un grand nombre d’hommes honorables et dans le cœur des jeunes gens, se manifestent à présent avec plus de force que jamais. Les étudians de Lund et d’Upsal traversent le Sund pour tendre une main fraternelle aux étudians de Copenhague. Devant le danger d’une autorité étrangère, toutes les dissensions locales, toutes les vieilles rivalités disparaissent. On oublie les funestes conséquences du traité d’union de Calmar ; on aspire à resserrer dans les liens d’une même pensée, à diriger vers un même but, ces trois peuples Scandinaves qui proviennent de la même souche, et qui doivent avoir le même intérêt de nationalité. Mais il faudrait un appui moral à ces tentatives d’union, à ces projets de défense. Les peuples du Nord, frappés comme ceux de l’Orient de l’ancienne grandeur et de l’active initiative de la France dans le mouvement des idées libérales, tournent leurs regards vers nous, et la France est muette, et son gouvernement est impassible.

Du temps de Richelieu, la France catholique s’alliait à la Suède protestante pour combattre l’ambition de l’Autriche ; du temps de Louis XIV et de Louis XV, le cabinet de Versailles considérait la Suède comme un des postes diplomatiques les plus importans. Nous avions là un ambassadeur chargé de distribuer des pensions, de payer des subsides, pour contrebalancer à Stockholm l’influence déjà redoutable de la Russie. Maintenant que le colosse dont nous essayions alors d’entraver les audacieux projets a grandi dans des proportions effrayantes, nous fermons les yeux sur ses progrès. Nous laissons s’affaiblir peu à peu le rempart qui nous séparait de lui. Un jour, pour venir à nous, il n’aura plus à traverser les grandes plaines de Pologne et d’Allemagne. Les côtes de France seront ouvertes d’un côté aux flottes de Cronstadt, de l’autre à celles d’Angleterre. Voilà ce que nous aurons gagné dans nos années de paix par tant de concessions à des puissances qui ne nous pardonnent ni notre gloire passée, ni le trouble qu’elles ont ressenti de nos révolutions. Puisse la crainte que j’exprime n’être qu’un vain fantôme ; mais pour quiconque a observé dans ces derniers temps l’état des royaumes Scandinaves et l’ascendant que la Russie acquiert chaque jour dans ces contrées, il est certain qu’il se prépare là un nouveau problème politique, dont on ne peut sans une vive anxiété envisager la solution.


X. MARMIER.