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simultanément, alors même que l’action collective lui est interdite. M. de Bourqueney applique avec scrupule ses instructions ; aussi, n’est-il pas une audience, pas une conversation, pas une note de l’ambassadeur d’Angleterre, qui ne soit suivie, à point nommé, d’une démarche analogue. Le ministre de France suit son fougueux collègue aussi fidèlement que l’ombre suit le corps ; jamais rôle de doublure n’a été tracé et rempli avec plus d’aplomb et de dignité.

On sait qu’après trois mois de négociations les efforts de sir Stratford Canning, assisté de M. de Bourqueney, ont amené à la fin de mars dernier une solution à peu près conforme à celle indiquée dans l’ultimatum de lord Aberdeen : la Porte, par une déclaration écrite, s’est engagée « à prendre les mesures nécessaires pour prévenir dorénavant l’exécution à mort des apostats. » C’est là un résultat que nous approuvons de grand cœur, mais que nous regrettons de voir obtenu par l’initiative d’une puissance dont les sujets ont commencé par être placés dans l’empire ottoman sous la protection même du pavillon français. Sir Stratford Canning poursuit en ce moment, dit-on, une négociation analogue pour l’abolition de la torture en Turquie. Il est difficile de concilier ces faits avec la conduite de sir Thomas Read à Tunis dans l’affaire du Maltais remis par lui à la justice locale, et nous déclarons ne rien comprendre à ces contradictions apparentes. Quoi qu’il en soit, on peut tenir pour instructive la variété d’attitude affectée à Constantinople par les représentans des cinq grandes cours dans cette circonstance : il y a là une révélation tout entière.

Nous désirons vivement que la situation diplomatique de l’Europe ne se présente pas sous le même aspect lorsqu’il s’agira de régler une autre grande affaire de ce temps-ci, celle d’Espagne, en admettant, ce dont nous nous plaisons à douter, que cette affaire devienne l’objet d’une négociation officielle entre les cinq puissances. Le retard apporté à la conclusion du mariage de la jeune reine donne aux cabinets continentaux une chance d’intervention diplomatique qui ne pourrait s’ouvrir qu’au détriment des intérêts de la France. L’ajournement du mariage n’est plus douteux. La reine Christine s’y résigne, parce qu’elle comprend l’impossibilité actuelle de la combinaison objet constant de ses vœux et de ses espérances. Le comte de Trapani n’apporterait en effet aucune force au trône sur lequel il serait appelé à monter. L’Europe continentale refuserait son concours à cette combinaison, et le jeune prince napolitain n’apporterait pas pour dot à sa royale épouse la reconnaissance officielle de son droit, que l’Espagne attend vainement depuis la mort de Ferdinand VII. D’un autre côté, cette solution jetterait dans une hostilité immédiate les nombreux partisans du mariage avec le fils aîné de don Carlos, et les amis plus clairsemés, mais fort agissans, de la famille de don François de Paule. L’incertitude sur le mariage maintient seule une trêve qui finirait au lendemain même de la conclusion. C’est ce qu’a parfaitement compris la reine-mère, qui trouve du reste dans l’âge et dans l’état de santé de sa fille les motifs les plus plausibles d’ajournement. Le général Narvaez professe hautement la même opinion, soit qu’il ne songe en