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en 1776, par M. Arkwright et par M. Strutt sur les bords de la Derwent, reste encore aujourd’hui un modèle de discipline et d’organisation. De l’autre côté du détroit, les traditions se conservent dans les familles industrielles aussi bien que dans celles de l’aristocratie. Les héritiers de M. Strutt, devenus riches et récompensés de leurs labeurs par un siége au parlement, tiennent à honneur de faire vivre et de mener à bien la colonie d’ouvriers qui s’était formée sous la tutelle de leur père. Quelque chose de cette magnifique inspiration qui a créé les manufactures survit en eux et ne leur permet pas de dégénérer. La noblesse du travail a ainsi sa chevalerie, comme la noblesse sortie de la guerre, et dans une industrie où les établissemens ainsi que les ouvriers n’arrivent presque jamais à la vieillesse, une fabrique qui compte soixante années d’existence se recommande, non moins qu’un manoir qui daterait du moyen-âge, à la vénération du public.

« Les manufactures de cette éminente famille, disait le docteur Ure en 1835[1], ont fourni, pendant un demi-siècle, un travail régulier et une aisance honnête à plusieurs milliers d’ouvriers. Durant cette longue période, l’habileté, la prudence et les capitaux des propriétaires ont maintenu l’établissement dans un état de perfectionnement progressif à peu près exempt de ces fluctuations qui ont si souvent réduit à la détresse les ouvriers des champs. Telle est la haute réputation de leurs produits, qu’un ballot estampé de leur marque se vend couramment sans examen sur tous les marchés du monde. Sous leurs auspices s’est élevée la jolie ville de Belper, bâtie et pavée en pierre de taille, avec des maisons commodes, où les familles de la classe laborieuse coulent doucement leurs jours. Les filatures, élégamment construites en pierre, ainsi que celles de Milford, situées à trois milles au-dessous, sont mises en mouvement par 18 grandes roues hydrauliques qui ont la force de 600 chevaux. Un régulateur attaché à chaque roue en modère ou en active la vitesse, selon les besoins du travail. Comme on n’emploie pas de machines à vapeur, ce village manufacturier a tout le pittoresque d’un paysage italien, avec sa rivière, avec ses rivages boisés et les collines qui ferment l’horizon.

« Un réfectoire très propre a été ménagé dans les bâtimens. Les ouvriers qui le désirent peuvent s’y procurer pour un sou (half a penny) une pinte de thé chaud ou de café avec le sucre et le lait. Ceux qui prennent régulièrement part à ce rafraîchissement ont droit en outre aux consultations du médecin. Une salle de danse est aussi ouverte pour servir à la récréation des jeunes filles et des jeunes garçons. La manufacture est parfaitement aérée et aussi propre que le salon d’une bonne maison. Les enfans sont bien constitués et travaillent avec une dextérité qui annonce leur contentement. »

  1. Philosophy of manufactures.