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MANCHESTER.

rivés, ils y trouvèrent aussitôt de l’emploi. On n’avait qu’à frapper la terre du pied pour en faire sortir des ouvriers, et comme la demande des produits anglais aux États-Unis allait sans cesse en augmentant, comme les banques locales (joint-stock banks) offraient à l’industrie des crédits illimités, la spéculation enfla ses voiles. Du 1er janvier 1835 au 1er juillet 1838, l’on construisit dans les seuls comtés de Lancastre et de Chester des usines qui représentaient une force égale à 13,226 chevaux de vapeur[1], dont 11,826 destinés à l’industrie du coton ; les usines en construction représentaient en outre une force de 4,187 chevaux. La dépense étant de 500 livres  sterl. par cheval de force, et chaque cheval entraînant l’emploi de cinq ouvriers, il s’ensuit qu’en moins de cinq années 200 millions de francs furent absorbés par la construction des bâtimens et des machines dans deux comtés de l’Angleterre, et que 87,000 ouvriers, avec leur cortége de bouches inutiles, vinrent s’ajouter à la population.

Cette concurrence désordonnée aurait suffi pour amener un engorgement dans la production ; mais la crise fut encore accélérée et aggravée par les circonstances extérieures. Une succession de désastres commença, pour la manufacture de coton, vers la fin de 1836, au moment où une faillite universelle frappa les banques et par suite les maisons de commerce aux États-Unis. Après avoir diminué ses importations par la banqueroute, l’Amérique s’efforça de les réduire encore par l’action des tarifs ; les droits de douane, qui n’excédaient pas une moyenne de 20 pour 100, furent élevés au-dessus de 30 pour 100, afin de protéger contre la concurrence de l’Angleterre les manufactures naissantes du Maine, du Massachusetts et de la Pensylvanie. Plusieurs états de l’Europe imitèrent cette politique commerciale, et, si Manchester put encore introduire ses filés dans les états de l’union germanique, il vit exclure ses tissus. En même temps, la concurrence des manufactures étrangères devenait plus formidable. La fabrique de Lowell obtenait la préférence sur les produits anglais dans les marchés de l’Amérique méridionale. La bonneterie saxonne disputait à celle de Leicester et de Nottingham le marché des États-Unis et même celui de l’Angleterre[2]. Pour achever cette détresse, plu-

  1. Inquiry into the state of the population of Stockport, april 1842.
  2. « En 1829, la Saxe importait aux États-Unis pour moins de 100,000 dollars de bas de coton ; elle en a importé en 1839 pour plus d’un million de dollars.

    « En 1839, la Saxe importait en Angleterre des bas et des gants de coton pour une valeur de 170,000 liv. sterl., soit le tiers de ce que l’Angleterre consommait. »

    (Report of the anti-corn-law conference, march 1842.)