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REVUE MUSICALE.

Encore un de ces aimables chefs-d’œuvre dont MM. Scribe et Auber possèdent seuls le secret. Une fois par an, ces deux imaginations charmantes se réunissent ; ces deux talens si ingénieux, si français, si merveilleusement faits pour se comprendre, mettent en commun leurs richesses et livrent sur la scène de l’Opéra-Comique une de ces batailles dont on sort toujours en vainqueur, quand on a, d’une part, de l’esprit et de l’habileté dramatique, de l’autre, un tact musical, une verve, un goût, en un mot cent recettes mélodieuses dont le fonds semble ne pas devoir s’épuiser. Long-temps on eut pour coryphée Mme Damoreau. Scribe, Auber, Mme Damoreau, l’ensemble atteignit alors son plus haut point, et donna pour résultat l’Ambassadrice, Actéon, le Domino noir, Zanetta ; toute sorte de délicieuses fantaisies spirituellement imaginées, où la musique intervient avec grace, où le mot et le motif se combinent pour le succès. Cependant le groupe aimé se désunit : Mme Damoreau, cédant à je ne sais quelle fièvre un peu tardive de locomotion, partit, abandonnant le jeu si bien tenu à trois depuis des années ; sur quoi plus d’un s’émut dans le public. De l’émotion on en vint aux inquiétudes ; on se disait : M. Auber va désormais se taire ; privé de la cantatrice à laquelle il avait attaché la fortune de ses chefs-d’œuvre, de la virtuose affectionnée qu’il avait voulu suivre dans sa migration de l’Académie royale de Musique à Favart, le compositeur français par excellence cessera d’écrire. Funestes préventions, que parut un moment accréditer l’avénement de M. Auber aux fonctions de directeur du Conservatoire. En effet, aux yeux d’un certain monde, composer des opéras comiques et gouverner l’établissement de la rue Bergère sont deux choses parfaitement incompatibles. Un véritable successeur de Cherubini, s’il s’avise d’écrire, peut tout au plus se permettre une fugue ou quelque bon morceau de contrepoint, rédigé, selon la formule, sur