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nières. En se lançant avec l’autorité de ses précédens et l’ardeur de ses plus vieilles convictions dans un débat auquel la chambre voulait conserver tout son calme, quelque émotion qui la dominât, M. Dupin a retrouvé les inspirations les plus jeunes de son énergique talent. Rarement une assemblée fut impressionnée d’une manière aussi vive, et jamais orateur ne fut en communion plus étroite avec son auditoire. Ce discours est l’un des évènemens de la session, et les applaudissemens de la chambre ont paru ébranler un instant le fauteuil même de M. Sauzet. Nous ne méconnaissons pas ce qu’il y a de grave et de spécieux dans la réponse de M. de Carné : nous croyons que le vieux droit parlementaire ne saurait suffire pour régler, sous l’empire de la charte de 1830, une situation fondée sur des principes différens, et nous ne sommes pas de ceux qui aspirent à appliquer à la société nouvelle les règles qui prévalaient à une époque où le clergé formait un corps politique dans l’état, et où celui-ci était légalement catholique ; mais quelles seront les bases de l’ordre nouveau ? jusqu’à quel point le clergé est-il disposé à accepter le droit commun avec ses charges non moins qu’avec ses bénéfices, et à renoncer, pour gage des libertés qu’il réclame, à des avantages qu’il a paru jusqu’ici estimer à si haut prix ? C’est ce que l’honorable orateur n’a pas dit, et c’était sur ce point cependant qu’il aurait fallu appeler l’attention de la chambre et du pays.

La situation de M. Martin du Nord était des plus délicates pendant le cours de ce débat, et elle est devenue plus difficile encore depuis la publication de la réponse de M. l’archevêque de Paris. Le prélat constate que la signature collective du Mémoire au roi n’avait été, de la part du ministre des cultes, l’objet d’aucune observation, et insinue avec une grande dextérité de langage que ces tardifs scrupules de légalité ont eu leur source dans des embarras de position ministérielle. On dit M. le garde-des-sceaux fort affecté, et le bruit de sa retraite, répandu depuis long-temps, a pris une grande consistance. Une modification partielle aurait lieu après la session, et permettrait à M. le ministre des affaires étrangères d’appeler à l’important ministère de la justice et des cultes un de ses amis personnels. Ce portefeuille serait réservé à M. Dumon. Les conjectures les moins concordantes se produisent relativement au choix du successeur de M. le ministre des travaux publics, mais elles ne sont pas assez sérieuses pour nous occuper. Parmi ces conjectures, il en est une pourtant qui doit être mentionnée, parce qu’elle est un symptôme de la situation incertaine de quelques hommes politiques. On dit que M. Dufaure pourrait bien consentir à reprendre un département où il a laissé d’honorables souvenirs. On explique ainsi la réserve de l’ancien ministre du 12 mai. M. Passy envoyé à la chambre des pairs, M. Dufaure amnistié par M. Guizot, telle serait la fin d’un parti qui, l’année dernière, à la tête de ses quinze voix, aspirait encore à conquérir le pouvoir et à dispenser souverainement les portefeuilles ! Nous ne croyons pas ces bruits fondés, et peut-être M. Dufaure les considère-t-il comme injurieux pour son