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SUPPRESSION DE LA SOCIÉTÉ DE JÉSUS.

gneusement ménagées par les philosophes. Tant de cruauté contrastait trop avec les mœurs d’une société déjà frondeuse, mais encore très élégante. On eut pitié des victimes, on se moqua du bourreau ; on rit de son appel aux idées du moyen-âge, de cette période de l’histoire que la mode réprouvait alors aussi vivement qu’elle l’a réhabilitée de nos jours. Ces titres arrachés des greffes, ces écussons effacés, ces anathèmes proclamés à son de trompe, semblèrent un sacrifice insensé à des préjugés barbares. Il y eut aussi une réprobation générale contre les maximes despotiques répandues à profusion dans les manifestes[1]. Enfin ce qui révolta surtout les philosophes français, ce fut de voir que Pombal n’acceptait point leur patronage et ne songeait pas à se donner pour leur adepte. En poursuivant la société, il n’accusait pas les jésuites d’appartenir à un institut coupable ni de professer des maximes immorales et mauvaises : il leur reprochait seulement d’être restés moins fidèles que leurs devanciers aux principes de saint Ignace, et même il se faisait gloire d’être attaché au tiers-ordre de Jésus et d’en observer scrupuleusement les pratiques[2]. Si Pombal avait rompu avec Rome, s’il avait chassé les jésuites, ce n’était donc point au nom de la philosophie. Les reproches qu’il leur avait adressés dans ses manifestes ne reposaient point sur des idées générales, mais sur des faits particuliers, contestables et mal exposés. Non-seulement le ministre portugais ne s’était point appuyé sur l’élite des philosophes de la France, mais il avait semblé prendre soin de se dérober à toute solidarité avec eux ; il n’avait pas même osé s’élever jusqu’aux libertés de l’église gallicane, courage bien facile alors, et qui pourtant lui avait manqué, ou qu’il avait dédaigné. La philosophie ne lui pardonna point de telles négligences ; elle lui pardonna moins encore de s’être adressé au pape pour faire juger Malagrida et ses confrères. Voltaire s’en plaignit plus d’une fois, avec quelque décence dans le Siècle de Louis XV, et ailleurs très indécemment[3].

Pombal avait consulté le saint-siége ; la réponse se fit attendre. Rezzonico régnait alors sous le nom de Clément XIII. Il venait de succéder à l’aimable et sage Benoît XIV. Entièrement dévoué aux jésuites, Clément n’avait pas compris que, dans cette circonstance, le

  1. Correspondance du duc de Choiseul.
  2. Papiers d’état et manuscrits du marquis de Pombal : bibliothèque de M. S., vicomte d’A., à Lisbonne.
  3. Siècle de Louis XV, t. XXIX, p. 38, édit. Delangle. — Sermon du rabbin Akib, t. XLIII, p. 231.