tout au plus après : « 9 juin 1788. Vous demandez ce que j’ai produit d’effet à la cour : je m’y suis fait quatre ennemis, entre autres deux A. S. (altesses sérénissimes), par de sottes plaisanteries dans des momens de mauvaise humeur. Je m’y suis fait sept à huit amis, mais de jeunes filles, une bonne et aimable femme, voilà tout. Les circonstances ont changé mon goût : à Paris, je cherchais tous les gens d’un certain âge, parce que je les trouvais instruits et aimables ; ici, les vieux sont ignorans comme les jeunes, et raides de plus. Je me suis jeté sur la jeunesse, et, quoi qu’on die, je ne parle presque plus à des femmes de plus de trente ans. Au fond, quand j’y pense, tout ceci est indigne de vous et de moi : médire un peu, bâiller beaucoup, se faire par-ci par-là des ennemis, s’attacher par-ci par-là quelques jeunes filles, se voir faner dans l’indolence et l’obscurité, voir jour après jour et semaine après semaine passer, Kammerjunker[1], et quoi encore ? Kammerjunker, quelle occupation ! Enfin vous êtes au fait. Virginibus puerisque canto. »
Qu’il lui répète, après cela, qu’il l’aime, elle sait ce que ce mot veut dire ; c’est pour d’autres qu’il chante désormais. Les confidences qui suivent ne lui laisseraient guère d’illusion, si elle était femme à en garder[2]. Benjamin Constant voit beaucoup dès-lors une jeune personne (Wilhelmina ou Minna) attachée à la duchesse régnante, et songe sérieusement à l’épouser ; il mêle d’une façon étrange ces espérances nouvelles aux souvenirs de fidélité qu’il prétend garder, et il fait du tout un hommage très bigarré à Mme de Charrière. Ainsi après de longs détails sur sa santé, de plus en plus chétive et nerveuse : « Mon humeur, écrit-il, comme cela est tout simple, se ressent beaucoup de ces variations. Je suis quelquefois mélancolique à devenir fol, d’autres fois mieux, jamais gai ni même sans tristesse pendant une demi-heure. Si vous voyiez comme Minna me console, me supporte, me plaint, me calme, vous l’aimeriez. Vous l’aimez déjà, n’est-ce pas ? Il y aura bientôt un an que j’arrivai à pied à huit heures du soir à Colombier, le 3 octobre 1787. J’avais de jolis momens qui m’attendaient sans que je le susse… » On se demande si c’est sans ironie qu’il poursuit de la sorte, si un nuage de germanisme, comme il