Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/278

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entassement confus de matériaux incohérens, un pêle-mêle de poésie et de vulgarité, de religiosité et d’enfantillage qui choquera le bon sens et le goût. C’est l’amie indulgente et compréhensive qui nous en instruit, l’amie à qui rien n’est caché, à qui rien n’échappe, celle à qui Bettina s’est confiée tout entière dans le plus tendre abandon. Ce qu’elle a vu dans la chambre de Mlle Brentano, nous le voyons aujourd’hui encore dans la vie et dans les écrits de Mme d’Arnim : le ruban bleu flottant au vent et faisant rire les écoliers qui passent, les papillons oubliés dans la boîte, l’Homère becqueté par le serin, Hemsterhuys dans la poussière, le flageolet dans la caisse d’oranger, la Bible sous le lit, la religion, la science, l’art, abordés cavalièrement et quittés avec irrévérence ; mais, comme le dit la docte chanoinesse dans son langage un peu païen, la flamme du sacrifice, c’est-à-dire le désir ardent, le sentiment universel, brûle au sein de ce chaos, et c’est pourquoi la réprobation hésite sur les lèvres les plus sévères, c’est pourquoi il en coûte de prononcer que les dieux ne se trouvent point honorés.

Les douces réprimandes et les avertissemens maternels de Mlle de Günderode modèrent un instant les fantaisies de Bettina. Mlle Brentano prend avec un maître des leçons d’histoire ; elle a promis à son amie de lui rendre compte des résultats, et le fait d’une façon si plaisante, que nous croyons devoir citer textuellement, de peur d’altérer le charme espiègle de ces pages écrites avec une verve d’humour et d’enjouement inimitable. « Le professeur d’histoire vient trois fois la semaine ; il enseigne de telle façon, que probablement je vais à jamais tourner le dos à l’avenir ; le cher présent même me serait dérobé, si les abricots du jardin de ma grand’mère n’éveillaient mon instinct du vol qui me servira, je l’espère, à saisir quelque chose de plus profitable que ceci par exemple : L’histoire des premiers temps de l’Egypte est obscure et incertaine. — C’est fort heureux, sans cela il faudrait encore s’en occuper. — Menés est le premier roi de qui nous sachions quelque chose. — Qu’à cela ne tienne, pourvu que nous en sachions quelque chose de bon. — Mœris creusa le lac Mœris ; puis vint Sésostris le conquérant, qui se tua. — Pourquoi ? Était-il beau ? A-t-il aimé ? Était-il jeune ? Était-il mélancolique ? — A tout cela, point de réponse du maître ; rien que l’observation qu’on doit plutôt se le figurer vieux. — Je lui démontre qu’il était jeune, uniquement pour donner une impulsion à la roue du temps qui reste toujours embourbée dans la boue historique de l’ennui. Il a encore marmotté je ne sais trop quoi de Busiris qui construisit Thèbes, de Psammetichus