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ÉCRIVAINS MODERNES DE L’ALLEMAGNE.

venus étaient fort modiques, mais ses toilettes toujours pompeuses : elle aimait à se montrer en grande tenue, dans son vêtement de soie couleur de feu garni de dentelle, les joues couvertes d’un doigt de rouge, et la tête chargée d’un magnifique édifice de boucles poudrées. Souvent visitée par de hauts personnages, souvent mandée chez des reines ou des princesses, ces visites ne lui causaient aucun émoi et servaient seulement de prétexte aux interminables histoires qu’elle contait avec verve et bonheur, et qui tenaient ses voisins bouche béante, oreille tendue, pendant des heures entières, assis en cercle autour de son fauteuil. Elle entrait au théâtre comme chez elle, avertissait les acteurs de sa présence, applaudissait d’autorité et à pleines mains, comme si elle eût voulu qu’on l’entendît à Weimar ; et quand madame la reine de Prusse la fait mander à Darmstadt, elle s’endort sans façon dans le salon d’attente, au grand ébahissement des courtisans indignés. Son seul amour, son seul culte, nous le répétons, c’est ce fils qu’elle a eu l’honneur de mettre au monde ; elle se mire dans sa création, et toute sa personne révèle le sentiment d’un repos glorieux comme celui d’un autre septième jour.

Forte de l’assentiment de la conseillère et munie d’une lettre de Wieland, l’ami de sa grand’mère Laroche, Bettina vole à Weimar. Elle-même raconte à la conseillère sa première entrevue avec Goethe en des termes tels qu’aucun lecteur français ne pourrait y voir autre chose que l’aveu peu voilé d’un abandon complet de sa personne aussi bien que de son cœur ; mais le lecteur allemand, plus compétent en matière de schwärmerei, n’en a pas jugé ainsi, et nous nous rangeons volontiers à son opinion. « Je montai l’escalier ; il y avait le long du mur des statues en plâtre ; elles commandent le silence. Tout est charmant, mais solennel. Dans les appartemens règne la plus grande simplicité, mais une simplicité si engageante !… La porte s’ouvrit, et il parut, solennel et grave, et me regarda fixement. J’étendis les bras vers lui, je crois ; bientôt je n’eus plus conscience de rien ; Goethe me reçut sur son cœur. « Pauvre enfant, vous ai-je effrayée ? » telles furent les premières paroles avec lesquelles sa voix m’entra dans le cœur ; il me conduisit dans sa chambre, et m’assit sur le sopha vis-à-vis de lui. Nous demeurâmes tous deux muets ; enfin il rompit le silence : — Vous avez vu dans le journal que nous venons de faire une grande perte par la mort de la duchesse Amélie ? — Hélas ! lui dis-je, je ne lis pas les journaux. — Vraiment ! j’avais cru que tout ce qui se passait à Weimar vous intéressait. — Non ; rien ne m’intéresse que vous, et je suis trop impatiente pour feuilleter des journaux. —