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Coleridge, cette tendance, qu’il tenait du mauvais germanisme, à chercher la profondeur sous des mots dont la creuse sonorité impatiente les bons esprits, auxquels elle fait plus vivement sentir l’absence de la pensée. Il ne pardonna jamais à cette école son affectation prétentieuse et ses mystiques et dédaigneuses manières de secte et de petite église. M. Jeffrey n’a reproduit dans la réimpression actuelle aucun de ses articles sur Coleridge, avec lequel la lutte devint personnelle. Il en est un cependant, le plus véhément de tous, celui qu’il publia à propos de la Biographia litteraria de cet écrivain, et où il avait à repousser des attaques directes, que je regrette pour une esquisse du caractère et du talent de Burke, qui me paraît devoir figurer parmi les plus excellentes pages de M. Jeffrey. Il y a dans ces volumes deux articles sur Wordsworth (l’un sur l’Excursion, l’autre sur le White Doe), et un article sur le Roderick de Southey. M. Jeffrey les a reproduits parce que ce sont ceux où il a mis le plus de bonne volonté à signaler les beautés réelles de ces poètes, où il s’est le plus relâché de sa sévérité habituelle.

Rien n’était plus opposé à l’exagération, à l’emphase, aux ambitieuses singularités, au mysticisme, à tout ce côté faux de l’école des lacs, contre lequel M. Jeffrey protestait au nom de la saine nature, que la poésie de Crabbe. Le modeste curate, dont Burke protégea les premiers efforts, dont Fox mourant lisait le Parish Register, encore inédit, n’a pas eu de plus zélé patron que M. Jeffrey. Il occupe dans la publication actuelle une place plus considérable qu’aucun des poètes ses contemporains. M. Jeffrey persiste à penser aujourd’hui encore qu’on n’a pas rendu à l’auteur du Borough et des Tales of the Hall toute la justice qu’il mérite ; il croit remplir un devoir envers la renommée de Crabbe en reproduisant les appréciations qu’il avait consacrées à ses œuvres ; il est convaincu que cet observateur exquis a déployé dans le dessin de ses sobres esquisses assez d’imagination et de grace pour leur assurer une admiration prolongée. Il semble en effet que Crabbe, en dégageant avec une attention si scrupuleuse des régions obscures de l’existence la poésie qu’elles recèlent, ait acquis des titres à une sympathie durable auprès d’un public nombreux. Ces labeurs pénibles qui n’aboutissent qu’à des moissons insuffisantes, ces luttes qui ne connaissent d’autres repos que l’accablement des lassitudes, ces espérances dont l’essaim tremblant fuit et se disperse sans cesse, ces joies dont des sueurs ou des larmes mal essuyées semblent tremper de tristesse les ternes et vacillantes lueurs, et à travers tout cela les passions nouant au hasard leurs racines désor-