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proposition maladroite, émanée de l’opposition, est venue fortifier la trame si habilement tissue par l’honorable député du Rhône. Le cabinet s’est empressé d’adopter ces listes, de telle sorte que les plus grands intérêts de l’état se trouvent remis aux mains d’hommes dont l’opinion est parfaitement connue d’avance sur toutes les questions de finances et de tracés engagées dans cette immense affaire. Les honorables commissaires seront dominés par une seule préoccupation, celle de faire passer des projets qu’ils ont inspirés, et qui garantissent tous les intérêts qu’ils ont mission spéciale de défendre. Au lieu d’un résumé impartial, le rapport de la commission semble devoir être une plaidoirie. On dit la chambre fort émue de cette situation délicate, et l’on affirme même qu’une réaction peut-être exagérée s’y prépare contre des projets qu’il ne serait pas moins dangereux de repousser par irritation que d’accueillir par complaisance.

Le parti de l’exécution par l’état gagne chaque jour du terrain au sein du parlement, et trouve dans l’empressement même des compagnies des motifs nouveaux pour assurer au pays des bénéfices qui ne sont plus contestés. Entre des compagnies qui se refusent à prêter leurs capitaux sans être assurées d’un intérêt d’au moins 6 pour 100, et des prêteurs disposés à en fournir à 4, ce parti n’hésite pas à conseiller l’emprunt. L’état qui a construit la voie de fer et auquel la loi du 11 juin 1842 a imposé l’œuvre la plus difficile et la plus longue, l’état qui a fait tous les travaux d’art, tous les terrassemens, qui n’a plus qu’à revêtir la voie de ses rails, et possède même déjà des rails pour commencer ce revêtement, les posera-t-il au prix de quelques sacrifices pour rester propriétaire du chemin, ou les fera-t-il poser par des compagnies en leur en abandonnant l’exploitation pendant une période variant de 28 à 47 ans, pour prendre les termes extrêmes des divers projets présentés par le gouvernement ?

En posant lui-même les rails, l’état entre en jouissance immédiate de bénéfices assurés, il reste libre de modifier les tarifs suivant les besoins de la circulation, et, par la concession de baux d’exploitation à court délai, il se dérobe aux difficultés d’une opération délicate. Quel motif pourrait le déterminer, en présence de ces avantages manifestes, à aliéner une propriété aussi précieuse que celle des chemins construits par lui ? Est-ce une surcharge annuelle de 28 millions, en attribuant dix années à la confection du réseau total de 300,000 kilomètres, qui compromettra la fortune publique ? Cette surcharge ne sera-t-elle pas couverte par un bénéfice portant sur la totalité des capitaux consacrés à la confection des chemins, capitaux qui, dans le système opposé, resteraient improductifs pour l’état pendant une génération tout entière ? Comment croire qu’une pareille somme, ajoutée à celle dont la loi de 1842 impose déjà la charge au pays, sera de nature à porter atteinte à son crédit, et qu’il ne pourrait la réaliser sans l’assistance de compagnies exploitantes ? Celles-ci ont-elles actuellement dans leurs caisses les 285 millions que présupposent la pose des rails et l’achat du matériel d’exploitation sur la totalité du réseau ? N’est-ce pas à des prêteurs futurs