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Charles III et le duc de Choiseul tendaient au même résultat, mais par des moyens que leurs caractères respectifs rendaient très différens. Il y avait un singulier contraste entre ce ministre insouciant qui immolait une société religieuse à l’esprit du jour, et ce roi, franc catholique, persécuteur avec toute la partialité, tout le zèle, tout le sérieux d’un dominicain. On devait se préparer à voir la proposition du duc avidement accueillie à Madrid. Contre l’attente du ministre, Charles III recula devant la suppression de l’ordre. Sa conscience lui représenta l’expulsion des jésuites d’Espagne comme une mesure de simple police, et l’abolition complète de la compagnie comme un holocauste à la philosophie voltairienne. La proposition de Versailles fut donc reçue très froidement à l’Escurial. Pour comble de surprise, Naples, Venise, le Portugal même, s’arrêtèrent tout court devant un projet si vaste et une résolution si tranchée. Ces cabinets objectèrent l’impossibilité d’obtenir un bref de sécularisation sous le règne de Clément XIII : ils prièrent Choiseul d’attendre au prochain conclave ; mais tous ces délais irritaient sa pétulance. Le duc avait proposé de supprimer l’ordre uniquement pour ne plus en entendre parler. Il représenta avec force que laisser vivre une corporation si puissante et si offensée, c’était exposer l’existence de la maison de Bourbon. On croit entendre le langage exagéré de la haine ; ce n’était que celui de l’impatience. Les lettres confidentielles du duc de Choiseul nous l’attestent. Encore une fois, il ne haïssait pas les jésuites ; il en était fort ennuyé.

Néanmoins le moment favorable n’était pas encore venu ; il fallait une occasion nouvelle pour décider cette grande affaire : le saint-siége lui-même la fit naître. Clément XIII provoqua une explosion que Benoît XIV avait prévue, mais qu’il mit toute son industrie à éviter. Naples et Parme avaient suivi l’exemple de l’Espagne. N’osant frapper Naples, Clément XIII crut pouvoir tirer vengeance de l’infant de Parme, très petit prince sans doute par l’étendue de ses états, mais puissant par ses alliances. Le pape ne vit qu’un Farnèse dans un petit-fils de France infant d’Espagne ; il crut n’attaquer qu’un ancien fief du saint-siége, et s’en prit à une des annexes de la grande monarchie bourbonienne. La déchéance du duc de Parme fut promulguée par une bulle. Ni Charles III ni Louis XV ne s’étaient attendus à cet éclat. Ils en furent également étonnés, mais chacun dans le sens de son caractère. Livré à lui-même, Louis n’aurait pris aucune part à ce débat ecclésiastique ; ce n’était pas assez pour son apathie, c’était trop pour la vivacité de Choiseul. Indigné, hors de lui, le ministre courut chez